Une tragédie au cœur du corridor forestier du Niari
Le 18 janvier, l’inquiétude a gagné le village de Moutoumbi lorsque l’on réalisa que M. P., quadragénaire connu pour ses expéditions aurifères, ne rentrait pas. Après plusieurs jours de recherche, ses proches ont découvert son corps lacéré dans une clairière de Moungoundou-Nord. Les empreintes profondes de pachydermes encore visibles dans l’humus et l’état de la dépouille – dos et thorax écrasés – ne laissent guère de doute : l’homme aurait été surpris par un troupeau d’éléphants en maraude. Dans cette partie méridionale du Congo, ces animaux empruntent un corridor naturel reliant la réserve de Dimonika au massif du Mayombe, zone où se superposent exploitation artisanale et habitat faunique.
Orpaillage artisanal et expansion des aires protégées
Depuis une quinzaine d’années, le Niari connaît un regain d’activité aurifère artisanale, stimulé par la flambée internationale du prix de l’or et la facilité d’accès à des filons alluviaux. Cette économie de subsistance, tolérée lorsqu’elle reste à échelle familiale, interfère néanmoins avec l’extension des aires protégées impulsée par le Plan national d’affectation des terres adopté en 2021. Les cartes se superposent, les intérêts se croisent : sur un même hectare, un piroguier prospecte tandis qu’une éléphante conduit son petit vers une source d’eau. Le gouvernement, conscient de la décennie cruciale qui s’ouvre pour la préservation des forêts du bassin du Congo, s’attache à concilier sécurisation environnementale et maintien des moyens de subsistance des populations rurales.
La politique de coexistence pacifique prônée par Brazzaville
Dans la dernière Communication nationale sur la biodiversité, Brazzaville rappelle que l’éléphant de forêt, espèce emblématique et longtemps victime du braconnage, a connu un lent regain démographique (rapport du Ministère de l’Économie forestière, 2022). Ce succès de conservation s’appuie sur le renforcement des brigades anti-braconnage et sur la coopération transfrontalière avec le Gabon. Toutefois, l’augmentation des effectifs se traduit par une proximité accrue avec les zones habitées. Les autorités plaident dès lors pour une « coexistence pacifique », misant sur la sensibilisation communautaire, la délimitation d’itinéraires fauniques et le déploiement de stratégies d’effarouchement non létales. Le ministère en charge de la Promotion des populations autochtones soutient par ailleurs la création de couloirs écologiques négociés de manière participative.
Le défi des communautés riveraines face à la faune
Pour les habitants de Moungoundou-Nord, l’éléphant incarne autant la majesté de la forêt que la menace envers les cultures, les greniers et, désormais, la vie humaine. Les témoins interrogés évoquent des passages nocturnes réguliers, entraînant la destruction de bananeraies. La peur s’insinue mais reste tempérée par la conscience du statut protégé de l’animal. « Nous savons qu’abattre un éléphant est interdit, pourtant il faut protéger nos familles », confie le chef local, illustrant la tension entre impératif légal et instinct de survie. Les ONG locales proposent des clôtures apicoles, utilisant le bourdonnement des abeilles comme barrière dissuasive, méthode déjà expérimentée près de Ouesso (rapport WWF-Congo, 2023). Reste le financement : chaque dispositif coûte l’équivalent de trois mois de revenus d’un ménage rural.
Vers un mécanisme régional de gestion des conflits homme-éléphant
Au-delà du drame individuel, l’événement relance la réflexion sur la mise en place d’un fonds d’indemnisation, évoqué lors de la Conférence des ministres de la Commission des Forêts d’Afrique centrale tenue à Kinshasa en octobre dernier. Brazzaville soutient la démarche, considérant qu’une prise en charge rapide des victimes renforcerait l’adhésion communautaire aux politiques de conservation. Sur le plan diplomatique, le Congo s’appuie sur son rôle moteur dans l’Initiative pour la Ceinture bleue afin de négocier des financements climat qui incluent la composante « human-wildlife conflict ». La Banque africaine de développement a déjà marqué son intérêt pour un programme pilote associant capteurs GPS, veille satellitaire et alertes téléphoniques aux riverains.
Regards croisés : économie rurale, biodiversité et stabilité sociale
La mort de l’orpailleur résonne bien au-delà d’un simple fait divers. Elle rappelle la complexité de la gouvernance environnementale dans un pays qui, tout en affichant des ambitions climatiques, doit composer avec les réalités d’une économie villageoise peu monétisée. Le Congo-Brazzaville mise sur la diplomatie verte pour consolider son image de gardien du deuxième poumon mondial. Or, cette posture n’a de sens que si la population locale perçoit un bénéfice tangible de la conservation. Les experts de la Banque mondiale soulignent qu’en l’absence d’alternatives économiques crédibles, l’orpailleur artisanal continuera de chercher fortune en forêt, au risque d’y croiser un éléphant ou d’autres dangers. L’enjeu est donc de transformer la biodiversité en actif de développement, afin que la forêt devienne source de revenus légaux et sûrs.
Concilier urgence humaine et impératif écologique
L’enterrement de M. P. au cimetière de Moutoumbi a rassemblé tout le village. Dans les chants funéraires, l’on percevait la tristesse mais aussi la résignation d’un peuple habitué à composer avec la forêt. À Brazzaville, les techniciens du ministère souhaitent accélérer l’élaboration d’un plan national de prévention des attaques, inspiré du modèle tanzanien, combinant surveillance drone et brigades d’intervention. La République du Congo a déjà démontré, par son engagement multilatéral, sa capacité à transformer les défis en opportunités. Reste à faire de chaque tragédie une leçon, afin que la richesse naturelle du pays cesse d’être source de deuil pour ceux qui y vivent.