À Burg, un souffle théâtral venu de Brazzaville
Du 18 au 20 juillet, la petite cité de Burg, dans le Land de Saxe-Anhalt, accueillera la huitième édition du Festival Induction. En qualité de parrain, l’auteur et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna y offrira la première européenne de « Opération Rumba ». Lauréat de plusieurs distinctions depuis son retentissant « M’appelle Mohamed Ali » créé à Avignon en 2014, l’artiste s’emploie à faire dialoguer l’imaginaire de Brazzaville avec les scènes les plus exigeantes d’Europe. Sa présence, saluée par les autorités diplomatiques des deux pays, illustre la stratégie d’ouverture culturelle du Congo-Brazzaville, soucieux de promouvoir un patrimoine immatériel désormais inscrit à l’UNESCO.
La rumba congolaise, matrice d’une dramaturgie transatlantique
Au cœur de la pièce, la rumba apparaît comme un fil d’Ariane reliant le royaume Kongo pré-colonial, la route esclavagiste vers les Caraïbes, puis le retour symbolique au fleuve Congo. En résonance avec les travaux d’historiens tels que Kazadi Wa Mukuna, Niangouna fait entendre le balancement syncopé de cette musique « voyageuse », témoin des résistances culturelles face à la domination coloniale. Le dramaturge explore ce long aller-retour transatlantique à travers des tableaux oniriques où les corps des comédiens, tantôt danseurs, tantôt conteurs, incarnent la parole des ancêtres et le souffle des indépendances.
Une langue hybride au service d’une mémoire partagée
Fidèle à l’héritage de Sony Labou Tansi, Niangouna revendique un « français remué », où s’invitent néologismes, accents lari et éclats d’argot brazzavillois. Cette veine polyphonique, qui bouscule les codes classiques sans les renier, donne naissance à un idiome théâtral singulier : à la fois populaire et érudit, charnel et conceptuel. « Je veux une langue qui sue », confie-t-il en atelier, estimant que la chair des mots vaut autant que leur idée. À Burg, le public allemand découvrira ainsi une dramaturgie résolument décentrée, proposant un récit post-colonial affranchi des hiérarchies linguistiques.
Festival Induction : laboratoire de soft power francophone
Créé en 2015, le Festival Induction ambitionne de rapprocher les scènes émergentes d’Afrique, d’Europe et d’Amérique latine. L’invitation faite à Niangouna s’inscrit dans une dynamique où le spectacle vivant devient vecteur de diplomatie culturelle. L’ambassade du Congo en Allemagne, qui soutient logistiquement la tournée, y voit un moyen de consolider des partenariats universitaires et industriels déjà actifs entre Brazzaville et Berlin. Pour les organisateurs allemands, l’arrivée d’un artiste reconnu, ancien résident de la Comédie-Française, garantit à la manifestation un rayonnement international accru.
Brazzaville, capitale d’une diplomatie artistique en mouvement
Depuis la reconnaissance par l’UNESCO de la rumba congolaise en 2021, les autorités de Brazzaville encouragent la circulation des créateurs afin de conforter l’image d’un Congo tourné vers le dialogue interculturel. En soutenant « Opération Rumba », le ministère congolais de la Culture souligne la volonté du gouvernement de promouvoir une identité plurielle, fière de ses racines et ouverte aux influences. Dans un contexte régional où l’influence se mesure aussi au rayonnement des arts, la pièce de Niangouna agit comme un passeport symbolique : elle fait entendre, au-delà des frontières, la vitalité d’une nation attachée à la cohésion et au partage.
Vers une scène mondiale décolonisée
Au terme de ce voyage, « Opération Rumba » propose un avenir où la mémoire se fait promesse. Niangouna ne cherche ni repentance spectaculaire ni héroïsation simpliste ; il interroge la capacité des sociétés post-coloniales à inventer un commun. En redonnant à la rumba sa dimension politique, il ouvre la voie à un théâtre de la réparation et de la projection. Les trois soirées prévues à Burg affichent déjà complet : signe que le public européen reste avide d’histoires capables de conjuguer esthétique, pensée et récit de soi. Pour Brazzaville, le succès annoncé de l’événement confirme la pertinence d’une diplomatie culturelle fondée sur l’excellence artistique et l’intelligence du dialogue.