Entre prestige et influence : la dimension stratégique des inscriptions UNESCO
À première vue, l’extension du portefeuille patrimonial algérien pourrait n’être qu’un dossier technico-culturel. Il n’en est rien. Toute candidature à l’UNESCO est aussi un acte diplomatique, un signal adressé tant aux opinions publiques qu’aux partenaires multilatéraux. Alger entend capitaliser sur le capital-sympathie qu’accompagnent les labels de l’organisation onusienne pour façonner une image de stabilité et de pluralisme culturel, à un moment où la compétition d’influence bat son plein dans le Maghreb et au Sahel. « Le patrimoine est un passeport moral qui ouvre des portes que la politique ne déverrouille pas toujours », confie un diplomate algérien en poste à Paris.
Une géographie du dialogue entre Méditerranée, Sahara et Atlantique
Les onze sites proposés dessinent une fresque territoriale qui part des massifs karstiques du Djurdjura, traverse les plaines antiques de Tébessa, puis s’enfonce jusqu’aux forteresses-greniers du Touat. Ce découpage n’est pas fortuit : il renvoie à la matrice tripartite de l’identité algérienne – méditerranéenne, africaine et arabo-berbère. En agrégeant parcs nationaux, oasis aménagées et témoins de l’Antiquité, les autorités espèrent illustrer la continuité d’un peuplement et d’un savoir-faire dont les racines pluri-millénaires transcendent les fractures contemporaines.
Ingénieries sahariennes : les ksour, oasis et ghouts comme laboratoires écologiques
Si la plupart des patrimoines matériels méditerranéens ont été abondamment étudiés, le dossier algérien innove en mettant en exergue des aménagements oasiens longtemps marginalisés dans les anthologies UNESCO. Les ksour de l’Atlas saharien, les jardins en entonnoir d’Oued Souf ou les systèmes hydrauliques des gorges du Rhoufi témoignent d’une adaptation fine aux contraintes hydriques. Les climatologues y voient des prototypes de résilience face au réchauffement actuel ; les urbanistes, un répertoire de solutions frugales transférables à d’autres zones arides.
Archéologie de pouvoir : un récit national en palimpseste
Du mausolée numide du Medracen au Tombeau dit de la Chrétienne, le fil conducteur est celui d’un pouvoir berbère conscient de dialoguer avec Carthage, Rome ou Byzance tout en préservant des traits autochtones. À Tébessa, l’arc de Caracalla, la basilique de saint Crispin et les remparts byzantins condensent cette superposition de souverainetés. En réhabilitant ces couches, Alger cherche à inscrire l’identité nationale dans une profondeur historique capable de dépasser la seule référence à la guerre de Libération, pilier symbolique depuis 1962 mais aujourd’hui insuffisant pour la jeunesse.
Augustin, Nedroma et le soft power spirituel
La candidature des itinéraires augustiniens répond à un impératif d’ouverture sur le dialogue interconfessionnel. L’inclusion du parcours de l’évêque d’Hippone, figure partagée par les traditions chrétienne et musulmane, sert de pont avec l’Europe tout en soulignant les racines africaines du penseur. De même, Nedroma sublime l’héritage andalou, réactivant une mémoire conjointe algéro-ibérique qu’Alger mobilise déjà dans ses partenariats universitaires avec Madrid et Séville.
Gouvernance patrimoniale : plans de gestion et diplomatie climatique
La Convention de 1972 impose des mécanismes de protection qui, en Algérie, devront conjuguer pression démographique, exploitation minière et montée des températures. Le ministère de la Culture promet des plans de gestion adossés à des indicateurs socio-économiques, impliquant collectivités locales, universités et secteur privé touristique. Cette gouvernance partagée vise à éviter l’effet vitrine souvent reproché aux sites inscrits, où la notoriété précède la protection, à l’image de la Casbah d’Alger encore en restauration malgré son inscription depuis 1992.
Un pari sur l’économie de la connaissance et le retour des visiteurs
Avec sept sites déjà inscrits, l’Algérie reçoit dix fois moins de touristes que la Tunisie ou le Maroc. La sécurisation progressive du Grand Sud et la réouverture de certaines frontières régionales laissent entrevoir un redécollage. Les autorités misent sur un tourisme « low volume, high value », axé sur le trekking saharien, l’archéologie expérimentale et l’observation ornithologique dans le parc d’El Kala. L’objectif officieux serait d’atteindre cinq millions de visiteurs en 2030, contre moins de trois avant la pandémie, en attirant notamment la diaspora algérienne d’Europe.
Résonances régionales et place de l’Algérie dans l’Afrique du patrimoine
Si les onze dossiers aboutissent, l’Algérie deviendra l’un des trois premiers contributeurs africains au patrimoine mondial, derrière l’Afrique du Sud et l’Éthiopie. Cette stature conforte ses ambitions de médiation au Sahel, où la protection du patrimoine – des mausolées de Tombouctou aux manuscrits de Gao – est devenue un enjeu de sécurité. Alger pourra ainsi se prévaloir d’une expertise technique utilisable dans les négociations régionales, à la croisée de la lutte contre le trafic d’antiquités et de la diplomatie climatique.
Vers un patrimoine partagé : défis et perspectives
La démarche algérienne est saluée par la Commission africaine de l’UNESCO, mais plusieurs experts pointent le risque d’une multiplication de dossiers sans moyens suffisants pour l’entretien. Les autorités assurent qu’un fonds dédié alimenté par la fiscalité touristique et un partenariat avec l’Agence française de développement viendront soutenir les restaurations. Au-delà de la validation par le Comité du patrimoine mondial, la véritable épreuve sera celle de la gestion quotidienne, de la formation des guides à l’éducation des riverains. En cela, l’année 2025 s’annonce comme un test grandeur nature : faire de la mémoire un ferment d’avenir plutôt qu’un décor figé.