Un déplacement placé sous le signe de la résilience sanitaire
Sous la moiteur de Brazzaville, siège historique du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique, le docteur Matshidiso Moeti a consacré quarante-huit heures à rencontrer les agents congolais, visiter les laboratoires soutenus par l’agence onusienne et s’entretenir avec la ministre de la Santé, Gilbert Mokoki. La mise en scène, soigneusement relayée par les médias publics, se voulait rassurante : en dépit des turbulences budgétaires globales, l’OMS « demeure aux côtés de ceux qui, chaque jour, portent les dynamiques de santé publique dans ce pays » a déclaré la directrice, vêtue du boubou bleu devenu sa marque de fabrique. La symbolique n’est pas anodine. Depuis 2020, la République du Congo a dû affronter, outre la pandémie de Covid-19, une recrudescence du paludisme et plusieurs flambées de rougeole. Le message visuel d’une haute responsable de l’OMS foulant à nouveau le sol congolais vise autant les agents parfois découragés que les bailleurs internationaux, priés de maintenir leurs contributions.
Entre soutien moral et arbitrages budgétaires en suspens
Derrière les poignées de main, les chiffres demeurent implacables. Selon les données internes consultées par des diplomates occidentaux, le budget opérationnel de l’OMS au Congo pour 2023-2024 accuse une réduction de près de 12 % par rapport au biennium précédent, conséquence des coupes imposées par certains États membres et de la réallocation des ressources vers les urgences soudanaises et éthiopiennes. En coulisse, plusieurs chefs de section redoutent une contraction des programmes de vaccination de routine. Interrogée par la presse locale, la docteure Moeti a esquivé les questions financières, préférant saluer « l’expertise technique indéniable des équipes nationales ». Ce glissement du registre économique vers le registre moral trahit la tension classique entre le plaidoyer, indispensable pour lever des fonds, et la réalité d’un panier de ressources désormais plus restreint. Pour les agents congolais, le soutien semblerait donc davantage relever de l’encouragement symbolique que d’une garantie budgétaire ferme.
La coopération Congo-OMS, un partenariat miné par les attentes politiques
La République du Congo négocie sa coopération sanitaire dans un environnement diplomatique singulier. Pays hôte du Bureau Afrique depuis 1953, Brazzaville s’est longtemps prévalue d’un accès privilégié aux programmes pilotes de l’OMS. Or, cette proximité nourrit aussi des frustrations. « Nous sommes en première ligne pour l’évaluation mais pas toujours en première ligne pour les financements », déplore un haut fonctionnaire congolais ayant requis l’anonymat. Du côté de l’OMS, on rappelle la nécessité d’objectiver les allocations en fonction de la charge de morbidité. Le dialogue, souvent feutré, n’en demeure pas moins politique. En marge de la visite, la ministre des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, a plaidé pour une « répartition plus équitable des appuis, tenant compte de l’effort d’accueil fourni par Brazzaville ». Cette demande récurrente illustre le dilemme d’une OMS sommée de traiter tous ses États membres sur un pied d’égalité tout en gérant une relation de voisinage institutionnel complexe.
Lecture régionale : la course contre l’érosion de la confiance publique
Au-delà du Congo, la tournée du directeur régional s’inscrit dans une séquence diplomatique plus large. Le Bureau Afrique sort fragilisé par une série d’enquêtes internes liées à la gestion d’Ebola en République démocratique du Congo, enquêtes qui ont entamé la crédibilité de l’institution dans plusieurs capitales africaines. Réenchanter la confiance passe donc par des visites de terrain à forte visibilité. « Nous devons être plus présents, plus transparents et plus à l’écoute », reconnaît un conseiller stratégique de l’OMS, soulignant que les campagnes de désinformation sur les vaccins prospèrent là où la parole des organisations internationales vacille. Au Congo, les conférences improvisées de la docteure Moeti avec des étudiants en médecine, retransmises sur les réseaux sociaux, répondent à ce besoin de proximité. Reste à savoir si ces initiatives suffiront à contenir la défiance, alors que l’inflation et la dégradation des infrastructures sanitaires alimentent le sentiment d’abandon dans les zones rurales.
Projection : vers un aggiornamento des priorités de l’OMS au cœur de l’Afrique centrale
À l’issue de son déplacement, la directrice régionale a annoncé le lancement d’un groupe de travail conjoint destiné à actualiser le Plan national de développement sanitaire 2025-2030. L’accent devrait être mis sur la santé communautaire et la préparation aux pandémies émergentes. Si cette orientation paraît consensuelle, elle soulève des interrogations : le Congo dispose-t-il de capacités d’absorption suffisantes pour un tel programme ? Les bailleurs bilatéraux suivront-ils ? Dans un jeu d’équilibres délicats, la crédibilité de l’OMS dépendra de sa faculté à transformer le soutien verbalisé en financements tangibles, mais aussi de sa capacité à articuler ses priorités avec celles – parfois contradictoires – des autorités congolaises. Pour l’heure, la visite de Brazzaville aura surtout servi à réaffirmer un engagement et à repousser, de quelques mois peut-être, l’inévitable moment de vérité budgétaire. L’agenda reste ouvert, mais le temps diplomatique, lui, s’égrène plus vite qu’on ne le croit.