Un pari de 45 millions de dollars sur le soja nigérian
Lorsqu’Anil Nair, directeur général d’Olam Agri Nigeria, affirme « nous investirons davantage au Nigeria », la déclaration n’a rien d’un slogan commercial. L’inauguration, ce printemps, d’une unité de trituration de soja d’une valeur de 45 millions de dollars à Kaduna ne constitue en effet qu’un jalon d’une stratégie d’expansion méthodique. Pour le conglomérat singapourien, présent dans plus de soixante pays, le Nigeria représente un double levier : un marché domestique de plus de 200 millions de consommateurs et une porte d’entrée vers la Zone de libre-échange continentale africaine. En internalisant l’étape critique de la transformation, Olam espère capter une marge supplémentaire tout en atténuant la volatilité des matières premières sur les places mondiales.
Une stratégie alignée sur la quête d’autosuffisance alimentaire
Abuja encourage depuis 2015 la substitution aux importations d’huiles végétales, avec un objectif ambitieux : réduire de 60 % la facture d’importation évaluée à près de 500 millions de dollars par an. En érigeant sa raffinerie au cœur du principal bassin céréalier nigérian, Olam répond à une demande institutionnelle pressante. Officiellement, l’entreprise s’engage à absorber chaque année 240 000 tonnes de soja local, soutenant ainsi quelque 100 000 petits exploitants. « Nous créons un débouché stable qui rassure les agriculteurs et renforce la sécurité alimentaire », plaide Anil Nair. Le ministère fédéral de l’Agriculture voit, lui, dans cette opération un moyen d’endiguer l’exode rural et de stabiliser les zones septentrionales fragilisées par l’insurrection.
Le Nigeria comme hub régional de transformation
Au-delà des frontières nigérianes, l’usine s’inscrit dans une logique de réexportation vers le Bénin, le Niger et le Ghana, marchés déficitaires en tourteaux protéiques pour l’aviculture. Selon la Banque africaine de développement, la demande ouest-africaine en soja transformé progressera de 5 % par an d’ici 2030. Olam, qui dispose déjà d’infrastructures portuaires à Apapa et de silos à Kano, mise sur des coûts logistiques compétitifs pour supplanter les flux argentins et brésiliens. Le coup d’accélérateur intervient alors que Lagos et Accra tentent d’harmoniser leurs normes phytosanitaires, une étape décisive pour fluidifier les corridors commerciaux.
Des répercussions diplomatiques et sociales
En coulisse, le projet renforce le dialogue économique entre Singapour et Abuja. La visite, en février, du ministre singapourien du Commerce, Gan Kim Yong, a consacré la signature d’un protocole d’entente couvrant la sécurité alimentaire et l’agritech. « L’engagement d’Olam sert de catalyseur à notre partenariat bilatéral », confiait un diplomate singapourien. Sur le terrain, les syndicats agricoles nigérians redoutent toutefois un rapport de force asymétrique. Ils soulignent que la contractualisation proposée par Olam impose des normes de qualité strictes pouvant exclure les exploitants les moins capitalisés. L’entreprise assure, pour sa part, financer des programmes de semences améliorées et de mécanisation, mais la traçabilité des résultats reste à affiner.
Les défis persistants d’un environnement incertain
L’attractivité de l’investissement ne fait pas oublier les fragilités structurelles du Nigeria : accès erratique à l’électricité, instabilité du naira, enclaves sécuritaires dans le nord-ouest. Olam évalue à près de 13 % le surcoût énergétique de son activité par rapport à ses usines indiennes équivalentes. Les gardes armés, désormais monnaie courante autour des plantations, représentent une charge additionnelle non négligeable. Sur le plan réglementaire, la suppression partielle des subventions sur les carburants pourrait alourdir la facture logistique. « La résilience des chaînes de valeur dépendra de réformes macroéconomiques crédibles », avertit la chercheuse Aisha Balogun de l’université d’Ibadan.
Une dynamique appelée à se poursuivre
Malgré ces zones d’ombre, le calendrier d’Olam est déjà fixé. Deux extensions sont envisagées : une ligne d’extraction d’huile de palmiste et un centre de recherche variétale, pour un budget additionnel estimé à 60 millions de dollars. Si les volumes promis se matérialisent, le Nigeria pourrait, dès 2027, réduire de moitié ses importations d’huile de soja tout en devenant exportateur net de tourteaux. Pour Anil Nair, l’équation est simple : « L’Afrique de l’Ouest possède la terre, la main-d’œuvre et la proximité des marchés ; nous y apportons capital et savoir-faire. » Les chancelleries occidentales observent avec attention ce repositionnement, conscientes que la sécurité alimentaire constitue désormais un paramètre clé de la stabilité régionale.