Libreville cherche un second souffle énergétique
Dans un contexte où nombre de producteurs africains voient leurs champs matures décliner, le Gabon affiche une ambition renouvelée. Porté par le ministre du Pétrole et du Gaz, Sosthène Nguema, le pays se tourne résolument vers l’offshore profond, territoire encore largement inexploré – près des trois quarts de son domaine marin demeurent vierges de forages. L’objectif immédiat est clair : maintenir, puis accroître, un niveau de production supérieur à 220 000 barils par jour, tout en préparant la relève des gisements terrestres arrivés à maturité.
Un cadre législatif repensé pour séduire les capitaux
Déjà révisé en 2019, le Code des hydrocarbures fait à nouveau l’objet d’ajustements afin de rendre l’investissement en eaux profondes plus compétitif face à des destinations phares comme la Guyane, le Brésil ou la Namibie. Les discussions portent sur l’allongement de la durée des permis, l’amenuisement de la fiscalité à haute dose de risque et la simplification des contrats de partage de production. Pour un diplomate occidental en poste à Libreville, « le signal envoyé est celui d’un État prêt à partager la manne, pourvu que les majors prennent le risque d’aller forer à plus de 2 000 mètres de profondeur ».
BW Energy, Perenco et CNOOC en éclaireurs
La présence de pionniers crédibilise le potentiel sous-marin. BW Energy vient de parapher des contrats d’exploration sur Niosi Marin et Guduma Marin, assortis d’une campagne sismique 3D et d’un puits d’exploration garanti. Sur la licence Dussafu, la société et ses partenaires – dont la Gabon Oil Company – exploitent déjà quatorze puits raccordés à un FPSO, prouvant la bancabilité du modèle. L’indépendant franco-britannique Perenco, de son côté, a annoncé au premier trimestre 2024 la découverte d’Hylia South West, tandis que le chinois CNOOC poursuit ses forages pionniers sur les blocs BC-9 et BCD-10, réputés receler plus d’un milliard de barils récupérables. Ces initiatives confirment l’assertion de l’African Energy Chamber, selon laquelle le Gabon pourrait, à terme, frôler le seuil symbolique du million de barils quotidiens.
Cap Lopez et la naissance d’un hub pétrochimique sous-régional
Au-delà de la production brute, Libreville mise sur la valeur ajoutée locale. Le projet de terminal GNL de Cap Lopez, piloté par Perenco pour un coût estimé à deux milliards de dollars, prévoit la mise en service d’une unité flottante de liquéfaction capable de traiter 700 000 t de GNL et 25 000 t de GPL par an dès 2026. Couplé à l’extension de la raffinerie SOGARA et à la nouvelle unité de LPG de Batanga, l’ensemble dessine la future plaque tournante des carburants en Afrique centrale. Le gouvernement souhaite en outre porter les stocks stratégiques de produits raffinés de soixante à quatre-vingt-dix jours de consommation, gage d’une sécurité énergétique renforcée.
Défis techniques, impératifs écologiques
L’exploration en eaux ultra-profondes demeure coûteuse et technologiquement exigeante. Les forages doivent composer avec des pressions élevées, des courants puissants et une logistique éloignée des bases côtières. Parallèlement, la société civile gabonaise s’inquiète de l’empreinte carbone et des risques de marée noire. Les autorités répondent par l’adoption de standards internationaux renforcés, l’obligation de plans d’urgence validés par l’Organisation maritime internationale et l’accélération des programmes de réduction du torchage. Un responsable du ministère souligne que « la fenêtre est étroite : il nous faut collecter les revenus d’aujourd’hui tout en préparant l’après-pétrole ».
Un levier diplomatique pour Libreville
Sur le plan géopolitique, le dynamisme pétrolier conforte le poids régional du Gabon. Membre de l’OPEP+ depuis 2016, le pays entend jouer les facilitateurs entre producteurs africains et investisseurs asiatiques, tout en diversifiant ses partenariats au-delà des cercles traditionnels franco-anglo-saxons. Les premiers signaux envoyés à Pékin et à Séoul, intéressés par l’achat de cargaisons de GNL à long terme, illustrent cette diplomatie des ressources. Libreville parie également sur la Zone de libre-échange continentale africaine pour exporter ses produits raffinés vers l’hinterland centrafricain, réduisant ainsi la dépendance de ses voisins au fret maritime transocéanique.
Vers un nouveau cycle de prospérité ?
En se projetant vers les abysses, le Gabon cherche à conjurer le spectre de la déplétion. La combinaison d’incitations fiscales, de partenariats public-privé et d’infrastructures logistiques intégrées pourrait hisser le pays au rang de chef de file régional. Comme le rappelle Verner Ayukegba, vice-président senior de l’African Energy Chamber, « l’exploration en eaux profondes est appelée à transformer l’économie gabonaise ». Si les défis techniques et environnementaux demeurent, l’offensive d’aujourd’hui pourrait se traduire, d’ici la fin de la décennie, par un nouvel âge d’or pétrolier capable de financer la diversification économique tant attendue.