La candidature Matoko au cœur d’une vision panafricaine
En misant sur la personnalité d’Édouard Firmin Matoko, ancien haut fonctionnaire onusien fort de trois décennies au sommet de l’Organisation, Brazzaville exprime une ambition qui dépasse la simple quête d’influence institutionnelle. Le gouvernement congolais entend projeter une image de responsabilité et de continuité au sein de la gouvernance mondiale de la culture et de l’éducation, tout en contribuant à renforcer la voix collective du continent dans les enceintes multilatérales. S’il est élu, Matoko deviendrait le premier Africain d’Afrique centrale à prendre les rênes de l’Unesco, un symbole que les capitales africaines sont invitées à inscrire dans leur propre agenda d’intégration.
Cette approche s’articule autour d’un principe de solidarité continentale : faire valoir une candidature africaine unique pour éviter la dispersion des voix, stratégie déjà éprouvée au sein de l’Union africaine. Dans les échanges confidentiels, les diplomates congolais rappellent que la promotion de la francophonie et l’alignement sur l’Agenda 2063 de l’UA constituent des points d’ancrage concrets, susceptibles de rassurer les États anglophones comme lusophones. Loin d’être un simple slogan, le mot d’ordre « Un Africain pour tous les Africains » résonne avec la volonté des capitales d’accroître leur influence dans les agences spécialisées des Nations unies.
Jean-Claude Gakosso, chef d’orchestre d’une tournée ciblée
Du 21 au 25 juillet, le ministre des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso a sillonné Luanda, Windhoek puis Gaborone avant de conclure son périple à Port-Louis. Partout, le chef de la diplomatie congolaise a été reçu par les présidents ou les ministres des Affaires étrangères, remettant des messages personnels du président Denis Sassou Nguesso. Selon une source proche du dossier, la tonalité des échanges a été « d’emblée chaleureuse », chacun saluant l’expertise technique du candidat ainsi que la cohérence régionale de la démarche congolaise.
Cette séquence, minutieusement calibrée, répond au constat que l’Afrique australe pèse plus de vingt voix potentielles au Conseil exécutif de l’Unesco. En se présentant comme « partenaire de première urgence », Brazzaville espère convertir une neutralité bienveillante en engagement ferme lors du scrutin décisif prévu à Paris. Dans les coulisses, des notes verbales soulignent déjà la « valeur ajoutée » apportée par Matoko en matière de programmes d’alphabétisation et de préservation du patrimoine, deux priorités pour les pays de la SADC.
Port-Louis, un hub océanique stratégique
Le choix de l’île Maurice comme dernière étape n’a rien d’anecdotique. Carrefours maritimes et bancs tectoniques culturels s’y croisent, offrant un miroir des multiples influences qui traversent l’Océan Indien. Accueilli au Palais présidentiel par Prithvirajsing Roopun puis par le Premier ministre Pravind Jugnauth, Jean-Claude Gakosso a valorisé la dimension insulaire du programme porté par Matoko, notamment la protection des récifs, la résilience climatique et la sauvegarde des sites archéologiques subaquatiques.
Aux dires d’un haut fonctionnaire mauricien, l’« expertise réelle » du candidat sur les programmes de biosphère renforce sa crédibilité. Dans un contexte où la diplomatie insulaire cherche à peser davantage sur les régulations de la Commission océanographique intergouvernementale, l’appui à un profil venu d’Afrique centrale peut apparaître comme un pari gagnant. Port-Louis se positionne ainsi en pivot susceptible d’infléchir l’opinion des petits États insulaires, souvent courtisés par plusieurs candidats concurrents.
Relais gouvernementaux et symphonie d’influence
La campagne ne s’arrête pas aux portes de l’Afrique australe. Dès le 27 juillet, le Premier ministre congolais Anatole Collinet Makosso prendra le relai pour engager une seconde salve de consultations en Afrique de l’Ouest et dans la Corne. Cette mobilisation de la chefferie gouvernementale donne un gage supplémentaire de sérieux aux yeux des partenaires, montrant que la candidature Matoko bénéficie d’un portage interministériel et d’un suivi présidentiel permanent.
Dans le même temps, les ambassades congolaises déclinent un argumentaire commun, assorti de fiches thématiques sur l’accès numérique à l’éducation et la diplomatie culturelle. Cette stratégie de « réassurance granulaire », selon les termes d’un diplomate ouest-africain, vise à apporter des réponses sur mesure aux attentes spécifiques de chaque État. L’objectif affiché est de fédérer au moins deux-tiers des membres du Conseil exécutif pour accéder dès le premier tour au seuil de qualification.
Résonance régionale et enjeux multilatéraux
L’Afrique avance désormais l’argument de la représentativité géographique comme principe démocratique des Nations unies. Dans ce contexte, la candidature Matoko capitalise sur la convocation de mémoires partagées, du sabotage culturel colonial à la fracture numérique actuelle. Brazzaville met en avant un programme d’« afro-universalité », articulant sauvegarde des langues nationales, intelligence artificielle au service de l’apprentissage et diplomatie des musées.
Pour nombre d’observateurs, l’Unesco devient l’espace de négociation par excellence entre cultures, sciences et nouvelles économies créatives. La montée en puissance des industries culturelles africaines, évaluées à près de 58 milliards de dollars selon la Banque africaine de développement, confère une pertinence accrue au profil de Matoko. Vu de Brazzaville, sa connaissance fine des circuits budgétaires et sa capacité à lever des fonds extra-budgétaires représentent un atout inégalé dans la compétition actuelle.
Perspectives avant l’échéance élective à Paris
À moins d’un an du vote, les États membres peaufinent leurs alliances. Les diplomates congolais, prudents, considèrent que rien n’est gagné mais que le socle africain est en voie de consolidation. Un vice-ministre sud-africain du Développement, joint par téléphone, note que « la méthode Gakosso a su convaincre en associant pragmatisme et vision ». L’entourage du président Denis Sassou Nguesso insiste, lui, sur la « portée structurante » de la démarche pour la diplomatie congolaise elle-même, qui démontre sa capacité à initier une dynamique collective.
En coulisses, l’équipe de campagne table sur une intensification des visites bilatérales avant la 43ᵉ Conférence générale de l’Unesco. Si l’issue du scrutin reste incertaine, l’activisme congolais illustre déjà la vitalité retrouvée du multilatéralisme africain. Quelle que soit la conclusion, la tournée en Afrique australe aura confirmé la faculté de Brazzaville à articuler action nationale et agenda continental dans un environnement diplomatique de plus en plus compétitif.