Une master class pour briser le silence
La salle du mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza s’est teintée de rose le 23 octobre. Autour d’une centaine de participants, la fondation Tabita Allegresse a ouvert une master class dédiée au cancer du sein et du col de l’utérus, maladies responsables d’angoisses croissantes chez les familles congolaises.
En lançant l’événement, la présidente Lydie Léonce Ndongo a rappelé la perte de sa mère, Tabita Allegresse Mokana Ndongo, décédée d’un cancer du pancréas en 2017. Cette tragédie intime se transforme depuis six ans en plaidoyer public pour un dépistage précoce élargi à toutes les femmes.
Selon elle, l’adversaire n’est pas seulement biologique. Il est aussi social, économique et culturel, car « aucune famille ne devrait traverser seule ce que nous avons vécu ». L’objectif est donc d’installer, au-delà d’Octobre rose, une mobilisation permanente dans les quartiers et les lieux de travail.
La synergie des partenaires institutionnels
Pour donner de la portée à cette ambition, la fondation s’appuie sur un réseau de partenaires publics, privés et onusiens. Le Fonds des Nations unies pour la population, représenté par Bruno Bilombo, marque son soutien à travers la diffusion de lignes directrices sur la prise en charge des cancers féminins.
Ces recommandations constituent, selon l’agence onusienne, « une boussole » pour harmoniser les pratiques, depuis la sensibilisation communautaire jusqu’au traitement hospitalier. Elles seront mises à la disposition des médecins généralistes, des sages-femmes et des associations de patients afin d’accélérer le diagnostic dans chaque département.
Le ministère de la Santé et de la Population, représenté par François Lebama, salue l’initiative. Il rappelle que le Plan stratégique national de lutte contre le cancer 2022-2026 mise sur un dépistage organisé, une amélioration des plateaux techniques et des partenariats durables avec la société civile.
Des chiffres qui interpellent
Les données compilées par les registres hospitaliers font état de 2727 nouveaux cas de cancer en 2022, dont 1732 décès. Ces chiffres traduisent un diagnostic encore trop tardif. L’avancée de l’âge moyen, la transition nutritionnelle et la consommation de tabac ou d’alcool nourrissent une courbe malheureusement ascendante.
Pour Bruno Bilombo, « la bataille se gagnera dans les dispensaires de quartier plus que dans les blocs opératoires ». Il plaide pour des campagnes mobiles, des centres de vaccination contre le papillomavirus et des tarifs solidaires afin d’éviter qu’une femme sur deux n’arrive au stade métastatique.
Perspectives du Plan national 2022-2026
Adopté l’an dernier, le Plan national trace trois priorités complémentaires. La première vise à réduire de 30 % la mortalité liée aux cancers féminins d’ici 2026 en généralisant le dépistage précoce. La seconde consiste à augmenter de 40 % la couverture des soins palliatifs dans les hôpitaux régionaux.
La troisième priorité prévoit le renforcement de l’offre de radiothérapie à Brazzaville et Pointe-Noire, grâce à l’acquisition d’équipements de dernière génération. Un budget de dix milliards de francs CFA est annoncé, mobilisé à parts égales entre l’État, les partenaires multilatéraux et des investisseurs privés.
François Lebama souligne que des modules de télé-expertise sont déjà en test entre l’hôpital de Talangaï et le Centre hospitalier universitaire de Paris. L’objectif est de raccourcir les délais d’interprétation des examens et d’orienter rapidement les patientes éligibles à une chirurgie conservatrice.
Un appel à l’engagement de tous
Au-delà des chiffres et de la logistique, la fondation Tabita mise sur la force des histoires personnelles. Des survivantes ont partagé leur parcours, rappelant qu’un simple examen clinique pratiqué à temps peut sauver une vie et préserver un foyer des conséquences financières souvent catastrophiques de la maladie.
« Le cancer n’est pas qu’une question de santé, c’est une question de société », insiste Lydie Léonce Ndongo. Elle appelle les entreprises à parrainer des journées gratuites de dépistage dans les zones industrielles, et les plateformes numériques à relayer massivement les messages de prévention rédigés par les experts locaux.
La directrice du mémorial, Bélinda Ayessa, considère que le lieu, dédié à la mémoire, peut devenir un phare sanitaire. Elle envisage d’installer dès 2024 un espace permanent d’information sur le cancer, animé par des étudiants en médecine et des bénévoles formés à l’écoute psychosociale.
Avant de clore la journée, les organisateurs ont signé une charte d’engagement. Elle prévoit la publication trimestrielle d’indicateurs, le suivi des cas référés et la création d’un fonds de solidarité alimenté par les dons volontaires. Un premier bilan est annoncé pour le mois d’avril prochain.
La campagne Octobre rose se poursuivra avec un concert caritatif et une marche sportive dans les rues de Brazzaville. Chaque inscription financera un kit de dépistage pour les centres de santé primaire. La fondation espère ainsi atteindre dix mille femmes dépistées avant la fin de l’année.
