Un écosystème financier en mutation accélérée
À la faveur d’une croissance post-pandémique plus résiliente que prévu, le secteur financier malgache s’extrait progressivement de la marginalité où l’avaient cantonné l’insularité et la faible bancarisation. Le produit intérieur brut du pays, encore modeste, s’adosse désormais à des acteurs capables d’absorber et de redistribuer un capital régional en expansion. L’arrivée de Hugues Bonshe Makalebo à la tête de Baobab Banque Madagascar illustre cette dynamique : fort de son expérience congolaise, il orchestre une modernisation rapide du système de crédit, adossée à une politique de conformité alignée sur les standards de Bâle III, condition sine qua non de la confiance des investisseurs institutionnels.
Le secteur, longtemps dominé par quelques filiales de groupes français, s’ouvre à des capitaux en provenance de Maurice, de l’Afrique de l’Ouest et du Golfe. Ce flux irrigue un tissu de PME encore fragile mais prometteur, à condition de résoudre la question cruciale de l’accès à la donnée financière fiable. C’est précisément dans ce champ que les nouveaux dirigeants, passés par les grandes écoles européennes ou sud-africaines, entendent se distinguer : en bâtissant des plateformes digitales interconnectées aux régulateurs, ils réduisent l’asymétrie d’information qui tenait les fonds étrangers à distance.
La diplomatie économique comme horizon commun
La trajectoire de Gervais Atta, aujourd’hui directeur régional Océan Indien d’Atlantic Group, révèle l’imbrication croissante entre finance et politique étrangère. Ancien du ministère ivoirien de l’Économie, il épouse la vision d’une diplomatie économique proactive où l’argument bancaire complète le discours traditionnel sur l’aide publique au développement. « Nos opérations ne se limitent plus à des transactions : elles portent une forme de soft power africain », confie-t-il en marge du dernier Forum économique d’Antananarivo, dominé par les débats sur la connectivité maritime régionale.
Cette posture trouve un écho dans les chancelleries occidentales, qui observent avec intérêt l’évolution d’un espace indo-africain longtemps négligé. Les ambassades françaises et indiennes multiplient les programmes d’accompagnement à la formation bancaire, y voyant un instrument de stabilisation sociale et, partant, de sécurisation des routes commerciales. Les jeunes banquiers endossent ainsi un rôle para-diplomatique, négociant des garanties de risques souverains au même titre que les ministres des Finances.
ESG et digitalisation, moteurs d’une légitimité nouvelle
À la tête d’AFG Bank Madagascar, Ina Kadiatou Diallo rappelle volontiers que « la prochaine rupture ne sera pas technologique mais éthique ». L’adoption accélérée des critères ESG, exigée par les bailleurs européens, devient pour elle un levier de différenciation. Au-delà du verdissement des portefeuilles, l’établissement soutient un programme de micro-crédits destinés aux coopératives agricoles féminines de Fianarantsoa, vecteur d’inclusion sociale autant que de rentabilité future. Dans le même temps, l’implémentation d’algorithmes de scoring alimentés par des données climatiques permet à la banque de tarifer le risque avec une granularité inédite sur le marché malgache.
Le virage numérique sert aussi la bancassurance, domaine où Diallo collabore étroitement avec Abissa Vance. Leur tandem pilote un portail unique qui mutualise informations médicales, données patrimoniales et historiques de paiement afin de réduire les délais d’indemnisation à quarante-huit heures. Cette hyper-réactivité nourrit la confiance des diasporas, qui transfèrent plus de 600 millions de dollars par an vers l’île et constituent un pilier non négligeable de la balance des paiements.
Entre Antananarivo, Moroni et Port-Louis, un corridor d’influence
La nomination de Marieme Sav Sow à la direction générale de TotalEnergies Marketing Madagasikara a consacré la féminisation progressive d’un secteur historiquement masculin. Sa maîtrise des arbitrages logistiques entre le canal du Mozambique et l’océan Indien offre à la place d’Antananarivo un avantage comparatif que convoitent les ports de Moroni et de Port-Louis. En coulisses, Antoine Evrad Evouna Ossi restructure BGFIBank Madagascar afin d’y capter la manne pétrolière attendue dans la zone, tandis que Guy Foka positionne Konecta comme opérateur privilégié de l’externalisation des services bancaires francophones.
Ces trajectoires convergentes créent un véritable corridor d’influence où s’échangent talents, données et capitaux. Les gouvernements insulaires, conscients du potentiel mais aussi de la fragilité de leurs économies, encouragent cette fluidité tout en renforçant les garde-fous réglementaires. À Port-Louis, la Commission des services financiers négocie déjà avec son homologue malgache une reconnaissance mutuelle des licences, prélude à un marché unique des capitaux insulaires.
Vers un capitalisme régional assumé
La génération montante que forment Bonshe, Atta, Diallo ou Sav Sow partage une conviction : la soutenabilité de la croissance passe par l’intégration régionale plutôt que par la dépendance à l’égard de bailleurs extra-continentaux. Leur discours, porté dans un français empreint de terminologie anglo-saxonne, milite pour des synergies logistiques entre l’Afrique de l’Est et l’Asie, tout en revendiquant une gouvernance plus inclusive au sein des institutions locales.
Reste à savoir si cet élan résistera aux faiblesses structurelles de Madagascar, de l’insuffisance énergétique aux incertitudes politiques. Les signaux sont néanmoins encourageants : l’agence américaine de notation Fitch a relevé la perspective souveraine à « stable », citant la solidité croissante du secteur bancaire. Dans un contexte géopolitique où l’océan Indien attire de nouveau les convoitises, ces jeunes banquiers semblent décidés à inscrire leur île dans le concert des puissances régionales, non plus en périphérie, mais au centre des routes financières.