Une navette à hauts enjeux entre Kigali et Kinshasa
À peine son entretien avec Paul Kagame achevé, Olusegun Obasanjo s’est envolé vers la capitale congolaise. Reçu plus de deux heures par Félix Tshisekedi, l’ancien président nigérian a rappelé qu’il « explore toutes les marges possibles afin qu’aucun fusil ne réponde plus à un autre ». Sa déclaration, sobre mais volontaire, illustre l’urgence d’un désamorçage après des mois d’escalade militaire dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. L’homme d’État, rompu aux négociations les plus fractales – du delta du Niger aux Balkans africains –, sait que l’ultime ligne droite avant la paraphe à Washington sera déterminante pour crédibiliser la convergence entre la Communauté d’Afrique de l’Est et la SADC.
Le dispositif EAC-SADC : cinq anciens chefs d’État, une partition commune
Désignés au sommet conjoint de mars, Uhuru Kenyatta, Kgalema Motlanthe, Catherine Samba-Panza, Sahle-Work Zewde et Olusegun Obasanjo forment un quintette diplomatique rarement observé sur le continent. Chacun apporte une sensibilité géographique et politique particulière : l’expérience kenyane des cycles électoraux disputés, la compréhension sud-africaine de la gestion post-apartheid des armes légères, l’expertise centrafricaine en matière de désarmement communautaire et, enfin, la dimension panafricaine de l’actuelle présidente éthiopienne. Obasanjo, aîné du groupe, a hérité du rôle de chef d’orchestre, en partie grâce à son aura auprès des chancelleries occidentales et de sa proximité avec les cercles militaires nigérians rompus aux opérations de maintien de la paix. Cette configuration, soutenue logistiquement par l’Union africaine, nourrit l’espoir d’une médiation qui ne soit ni imposée ni folklorique.
Washington et Doha à la manœuvre : complémentarité ou concurrence ?
Les capitales occidentales n’ont pas déserté la scène. Allison Hooker, haute responsable du département d’État, a supervisé la rédaction d’un avant-projet d’accord désormais paraphé par les équipes techniques rwandaise et congolaise. Dans le même couloir diplomatique, Doha a joué le facilitateur discret, veillant, selon un diplomate qatari, « à éviter les chevauchements qui fragiliseraient la signature ». Les États-Unis insistent sur une temporalité courte : la cérémonie prévue le 27 juin réunira le secrétaire d’État Marco Rubio, souhaitant capitaliser sur l’actuelle fenêtre d’opportunité sécuritaire. L’alignement public des incitations américaines et moyen-orientales offre un contre-poids financier et symbolique aux réticences terroristes, mais rappelle aussi combien la paix dans les Grands Lacs reste dépendante des agendas extérieurs.
La diplomatie confessionnelle s’invite au chevet de l’Est congolais
La Conférence épiscopale nationale du Congo et l’Église du Christ au Congo n’entendent plus regarder passer les avions de la négociation. Le 21 juin, leurs représentants ont remis au chef de l’État un rapport nourri de trois mois de consultations, à Bukavu comme à Bruxelles. Ils plaident pour un désarmement progressif, adossé à des mécanismes de justice transitionnelle et à la redynamisation de l’autorité civile. Dans les couloirs du Palais de la Nation, un conseiller admet que « le président écoute, conscient que la crédibilité d’un accord régional dépendra aussi de son accueil par les communautés paroissiales et les chefferies locales ». Cette articulation entre verticalité étatique et horizontalité religieuse pourrait combler le vide institutionnel qui a longtemps servi de terreau au M23 et à sa constellation d’alliés.
Le dilemme sécuritaire : cessez-le-feu signé, terrain miné
Malgré la raréfaction récente des confrontations conventionnelles, des portions entières du Petit Nord demeurent tenues par le M23, qualifié à Kinshasa de « force supplétive rwandaise ». Les observateurs onusiens font état de mouvements d’infanterie perfectionnés et d’équipements à la traçabilité opaque. Côté rwandais, on invoque la nécessité de protéger les populations tutsies congolaises face aux milices hutu. Dans ce jeu de miroirs, la promesse d’un accord global ne suffit pas : encore faudra-t-il garantir des couloirs humanitaires, un cantonnement supervisé par une force neutre et une justice capable de distinguer insurgés irrécupérables et combattants réinsérables. L’histoire récente rappelle que la signature de Lusaka en 1999 ou celle de Nairobi en 2013 n’avaient pas empêché la résurgence des violences.
Vers un équilibre introuvable ou l’amorce d’une normalisation ?
En confiant à Obasanjo la mission de faire le trait d’union entre Kinshasa, Kigali et Lomé, l’EAC et la SADC ont formulé une hypothèse : la multiplication des cercles de garantie augmente les chances de mise en œuvre. L’ancien chef d’État s’apprête maintenant à briefer Faure Gnassingbé, médiateur de l’Union africaine, afin d’harmoniser les clauses sécuritaires, économiques et humanitaires. Le défi est double : verrouiller la volonté politique des capitales et convaincre les groupes armés qu’il existe désormais un horizon de réintégration crédible. À la question de savoir si la paix est à portée de stylo, un diplomate burundais souffle : « Nous ne pouvons plus nous offrir le luxe d’un échec supplémentaire. L’électrocardiogramme régional ne le supporterait pas. » Les prochaines heures diront si la diplomatie en marche pourra convertir la rhétorique en réalité.