Une capitale sahélienne devenue carrefour diplomatique
Sous un ciel balayé par l’harmattan, Nouakchott s’apprête à accueillir les 27 et 28 juin la 33ᵉ session du Comité exécutif de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU Afrique). Ce rendez-vous, souvent discret mais hautement stratégique, réunit dix-huit dirigeants territoriaux dont la présidente de la région hôte, Fatimetou Abdel Malick, afin d’ausculter les comptes, de réviser la gouvernance interne et de façonner l’agenda politique des collectivités africaines. Dans un contexte sahélien marqué par l’instabilité sécuritaire, la Mauritanie parie sur la diplomatie des villes pour consolider son image de médiateur et de hub régional.
CGLU Afrique : une architecture continentale en quête d’agilité
Née en 2005 du rapprochement des associations de pouvoirs locaux, la branche africaine de l’organisation mondiale Cités et Gouvernements Locaux Unis incarne aujourd’hui la principale interface entre municipalités et institutions panafricaines. Elle fédère plus de 2 000 collectivités, structurées autour de cinq régions – Nord, Ouest, Centre, Est et Australe – afin d’articuler une réponse territorialisée aux défis communs. « Le municipalisme n’est plus un secteur annexe ; il est l’échelon où se joue la crédibilité de l’Agenda 2063 », rappelle le professeur camerounais Joseph K. Tcham, spécialiste des politiques de décentralisation.
Transparence budgétaire : l’épreuve des chiffres
Premier point inscrit à l’ordre du jour, l’examen des comptes 2023 et 2024 constitue un test de transparence pour une organisation souvent sollicitée mais aux ressources limitées. Les délégations devront valider la gestion d’un budget dont près de 60 % provient des cotisations, le reste étant alimenté par des partenaires techniques. Selon une note interne consultée par la revue, les dépenses se sont concentrées sur la formation des cadres municipaux et le plaidoyer climatique. Pour Peter Anyang Nyong’o, gouverneur de Kisumu, « une comptabilité irréprochable est la condition de notre légitimité vis-à-vis des bailleurs et, surtout, de nos concitoyens ».
Réformer l’organisation sans diluer la voix des territoires
La question de la restructuration, deuxième pilier des discussions, vise à simplifier une gouvernance parfois jugée « lourde et pyramidale ». Le secrétariat général, actuellement basé à Rabat, propose de renforcer les antennes régionales afin de rapprocher l’expertise du terrain et de réduire les coûts de coordination. Certains élus, à l’instar d’Adrien Nguema Mba, délégué spécial de Libreville, plaident cependant pour un équilibre prudent : « Nous devons gagner en agilité sans créer de fractures entre grandes et petites municipalités ».
Le projet prévoit également une rotation plus régulière des présidences régionales afin de refléter la diversité démographique du continent et de mieux intégrer les villes intermédiaires, souvent laissées en marge du débat métropolitain.
Genre et jeunesse : accélérer l’inclusion politique
Au-delà des réformes structurelles, la session mettra en lumière le rôle des réseaux internes que sont REFELA, FORAF et YELO. Le Réseau des Femmes Élues Locales d’Afrique plaide pour qu’au moins 30 % des postes exécutifs soient occupés par des élues d’ici 2026. « L’égalité n’est plus une option morale, c’est un impératif de performance publique », insiste la Gabonaise Christine Mba Ndutume, vice-présidente de REFELA.
Parallèlement, YELO entend convaincre les doyens d’associer plus étroitement les moins de 35 ans à l’élaboration des politiques urbaines. À leurs yeux, la transition numérique et la planification écologique requièrent un regard générationnel que la bureaucratie actuelle peine à intégrer.
Urbanisation galopante et vulnérabilité climatique
Les travaux de Nouakchott se déroulent alors que l’Afrique comptera, selon l’ONU, 1,2 milliard d’urbains à l’horizon 2050. Cette dynamique exponentielle exerce une pression considérable sur le foncier, les services de base et la cohésion sociale. CGLU Afrique s’est fait le porte-voix d’un plaidoyer pour que les municipalités bénéficient directement de financements climat, actuellement canalisés par les gouvernements centraux. La Banque africaine de développement estime le déficit annuel en infrastructures urbaines à 50 milliards de dollars, un chiffre qui rappelle l’urgence d’un dialogue triangulaire entre États, villes et bailleurs.
La Mauritanie mise sur la diplomatie des villes
En offrant sa tribune à CGLU Afrique, Nouakchott entend démontrer sa capacité d’accueil et son orientation réformiste dans un Sahel souvent décrit sous l’angle sécuritaire. Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazaouani a récemment déclaré que « les collectivités locales sont un levier de stabilisation et de développement qu’il faut consolider ». L’évènement, couvert par plusieurs agences continentales, constitue donc un exercice de soft power pour la Mauritanie, qui souhaite renforcer ses synergies avec le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
Vers une assemblée générale aux ambitions rehaussées
La dernière séquence de la session sera consacrée à la préparation de l’assemblée générale prévue en 2025, dont l’hôte n’est pas encore officiellement désigné. Les discussions porteront sur l’adoption d’un cadre stratégique quinquennal articulé autour de la résilience climatique, de la transition numérique et de la finance territoriale innovante. Une feuille de route qui devra, selon les participants, s’accompagner d’indicateurs mesurables afin d’éviter l’écueil des déclarations d’intention.
À l’issue de ces deux journées, le communiqué final devrait esquisser un calendrier de mise en œuvre et préciser les responsabilités de chaque région. Au-delà des formules consensuelles, la capacité de CGLU Afrique à traduire ses résolutions en projets tangibles sera scrutée par les partenaires internationaux, à commencer par l’Union africaine, dont le sommet de février 2025 pourrait entériner plusieurs recommandations.
Entre exigences budgétaires et espérance continentale
Mortier de la coopération inter-urbaine, CGLU Afrique se trouve à un carrefour. La session de Nouakchott devra concilier rigueur financière, refonte institutionnelle et inclusion sociétale pour demeurer le porte-parole crédible des territoires africains. Si le consensus l’emporte, la diplomatie des villes pourrait renforcer sa place dans l’architecture géopolitique du continent. Faute de quoi, le risque persiste de voir se creuser l’écart entre discours panafricain et réalités locales. Dans l’une ou l’autre hypothèse, les délibérations de Nouakchott pèseront sur la condition urbaine africaine bien au-delà des deux jours de réunion.