Aux confins des Trara, une position stratégique séculaire
Posée à 420 mètres d’altitude sur le versant oriental du djebel Filaoussen, Nedroma garde depuis près d’un millénaire les marches occidentales de l’Algérie. Les géographes arabes, à commencer par El-Ya’qûbî au IXe siècle, signalent déjà l’importance de « la grande cité de Falusan ». Lorsque l’Almohade Abdelmoumen Ben Ali décide en 1150 de donner à cette bourgade berbère les attributs d’un centre régional, il tire parti d’un triptyque géographique rare : un relief protecteur, des sources abondantes et l’ouverture d’une plaine fertile sur la côte, distante de vingt kilomètres seulement. Cette articulation montagne-plaine-mer explique que Nedroma soit devenue un relais obligé entre Maghreb central et Andalousie, route commerciale mais aussi couloir d’idées.
De Grenade aux Trara : l’empreinte indélébile des exilés d’al-Andalus
Le sceau le plus visible de la ville provient de l’exode andalou. Des premières arrivées du XVe siècle jusqu’aux grands départs morisques de 1609, des milliers de familles musulmanes et juives transportent ici leur science des arts, du droit et des métiers d’art. Guillermo Rittwagen, de passage en 1904, voyait dans ces ruelles « la vraie métropole des Arabes andalous » (Rittwagen). Le brassage provoque une alchimie sociale originale : la langue vernaculaire s’enrichit d’hispanismes, les circuits commerciaux se densifient et l’urbanisme adopte les canons de Cordoue ou de Séville, mais détournés par l’esthétique maghrébine.
La Grande Mosquée et le chapelet des koubas : matrice architecturale
Édifiée en 1081 sous Youssef Ibn Tachfine, la Grande Mosquée offre l’un des trois rares témoins de l’art almoravide encore debout en Algérie. Son oratoire, percé de neuf nefs orthogonales à la qibla, rappelle le plan cordouan tout en exhibant une austérité de pierre propre aux dynasties du désert. Le minaret, retouché en 1348 par l’architecte zianide Muhammad al-Sîsî, joue sur la bichromie brique-marbre dans un raffinement géométrique digne des médersas de Fès. Autour, mosquées de Sidi Bou Ali et de Ben Aoufine, coupoles multiples et koubas d’érudits tracent une topographie sacrée qui ponctue chaque colline. L’ensemble compose un atelier à ciel ouvert pour historiens et restaurateurs.
Maison, métier, musique : un art de vivre andalou aujourd’hui vivant
Les demeures à patio, caressées par la lumière tamisée des moucharabiehs, prolongent la sociabilité andalouse : intimité domestique au rez-de-chaussée, convivialité autour de la fontaine centrale et toits-terrasses propices à l’observation nocturne du djebel. Au XVIe siècle, Léon l’Africain attribuait déjà la prospérité locale au « grand nombre de ses tisserands ». Cette spécialité textile — cotonnades finement rayées, couvertures de laine serrées — survit dans quelques ateliers familiaux, même si la concurrence industrielle érode des savoir-faire multiséculaires. Sur le plan immatériel, Nedroma demeure l’un des bastions du hawzi et du madih : les orchestres perpétuent les noubas transmises par les maîtres Mohamed Remaoun puis El Hadj Mohamed El Ghaffour, et donnent à la ville un rôle de conservatoire régional.
Massif des Trara : un écrin écologique pour la cité médinale
Du point culminant à 1 136 mètres jusqu’aux terrasses d’oliviers, le massif des Trara concentre 558 espèces végétales réparties dans 87 familles botaniques, selon les inventaires de l’université de Tlemcen. Pins d’Alep, cyprès, pistachiers et chênes verts dessinent un paysage méditerranéen vif, tandis que les sources karstiques assurent une humidité régulière aux vergers. Cette biodiversité enrichit la valeur universelle potentielle du bien proposé et offre un argument supplémentaire aux défenseurs d’un tourisme de randonnée raisonné.
Une candidature UNESCO qui fédère enjeux patrimoniaux et projets de territoire
Le dossier intitulé « Nedroma et les Trara » chemine depuis plusieurs années dans les couloirs du Centre du patrimoine mondial. Pour les édiles locaux, une inscription serait un levier de diplomatie culturelle et d’économie durable : hausse de la fréquentation, mise en réseau d’artisans, accès à des financements pour la restauration. Les autorités algériennes insistent sur la nécessité d’équilibrer conservation et modernisation, afin d’éviter la muséification qui a parfois atteint d’autres médinas nord-africaines. À entendre le maire actuel, la priorité est « d’accompagner la vie quotidienne des habitants tout en révélant la valeur universelle exceptionnelle ». Reste que la route vers Paris et Bonn, étapes clés du processus, suppose une gouvernance partagée entre administration, experts et société civile.
Vers une « perle des Trara » recomposée : enjeux et perspectives
Nedroma réussit la synthèse d’influences berbères, almohades et andalouses, sans perdre sa singularité maghrébine. Chaque pierre murmure une histoire, chaque nouba rappelle un exil et chaque vallée offre un horizon sur la Méditerranée. L’aspiration à l’UNESCO, au-delà du prestige, réactive la conscience patrimoniale des Nedromiens eux-mêmes. Si le sceau international venait à être apposé, la petite citadelle pourrait devenir laboratoire de préservation intégrée et vitrine d’un dialogue euro-méditerranéen renouvelé. À défaut, la dynamique engagée aura déjà eu le mérite de replacer Nedroma sur la carte des destinations culturelles qui comptent.