Des propos qui résonnent au-delà des frontières
La déclaration de Jean Jacques Serge Yhombi Opango sur une chaîne étrangère, assimilant le pouvoir congolais au nazisme et au fascisme, a rapidement franchi les frontières nationales pour nourrir les fils d’actualités africaines. À Brazzaville, la réplique n’a pas tardé : le Club 2002-Pur, formation de la majorité présidentielle, a jugé ces propos « offensants pour l’Histoire » et contraires à l’éthique du débat démocratique (Déclaration de Juste Désiré Mondélé, 13 juillet 2024). Le choix de références extrêmes, renvoyant aux heures les plus sombres du XXᵉ siècle européen, confère à la polémique une dimension à la fois mémorielle et diplomatique, tant ces concepts résonnent dans les enceintes internationales.
Une mémoire historique encore vive
Associer le Congo-Brazzaville au nazisme ou au fascisme fait écho à des traumatismes collectifs qui ne sauraient être relativisés. La mise en parallèle d’un régime africain contemporain avec des idéologies responsables de génocides industriels suscite inévitablement une indignation morale. Pour Juste Désiré Mondélé, rappeler les souffrances des peuples européens ou sud-africains signifie avant tout refuser la banalisation de la haine identitaire : « Du fascisme au nazisme, en passant par l’apartheid, nous disons non », a-t-il martelé sous les applaudissements d’une assemblée générale réunie à Pointe-Noire. Les diplomates en poste à Brazzaville rappellent d’ailleurs que ces notions sont codifiées dans le droit international, notamment à travers les conventions de l’Unesco sur l’incitation à la discrimination.
Liberté d’expression et responsabilité politique
Dans une République qui se veut pluraliste, la liberté d’expression constitue un pilier reconnu. Néanmoins, comme le souligne le Club 2002-Pur, cette liberté s’arrête là où commencent les discours susceptibles de menacer la cohésion nationale. Une nuance qu’entérinent la Charte africaine de la démocratie et la jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’Homme. Les juristes rappellent que le discours politique bénéficie d’une protection accrue, à condition de ne pas franchir la ligne rouge de l’appel à la violence ou de la stigmatisation ethnique. En l’espèce, l’emploi de qualificatifs extrêmes risquerait d’alimenter une lecture ethnocentrique de la vie publique, au moment même où le pays consolide un climat de paix relative après les turbulences des décennies passées.
Club 2002, vigie d’une majorité plurielle
Créé en janvier 2002 par le sénateur Guy Wilfrid César Nguesso, le Club 2002-Pur revendique une identité de « force de proposition » au sein de la majorité présidentielle. S’il réaffirme sa loyauté au président Denis Sassou Nguesso, le mouvement se présente également comme un laboratoire d’idées sur la réforme de l’État et l’intégration régionale. L’indignation exprimée le 13 juillet s’inscrit donc dans une stratégie plus large : défendre les institutions tout en rappelant que l’unité nationale demeure non négociable. De Pointe-Noire à Ouesso, les fédérations du parti ont relayé l’appel à un langage politique demeuré courtois, condition sine qua non pour préserver la stabilité recherchée par les partenaires extérieurs et les investisseurs.
Perspectives électorales et cohésion nationale
À moins de deux ans de la présidentielle de mars 2026, la scène politique congolaise entre dans une phase de crispation où les mots, parfois plus que les actes, peuvent peser lourd. Le Club 2002-Pur a profité de son assemblée générale pour inviter le président Denis Sassou Nguesso à briguer un nouveau mandat, soulignant ses « atouts d’expérience » dans un environnement géopolitique incertain. Les observateurs notent que l’opinion internationale scrutera autant la qualité du processus électoral que la capacité des acteurs à éviter les surenchères verbales. Dans ce contexte, la rhétorique enflammée de l’opposition risque d’être contre-productive, puisqu’elle offre au pouvoir l’occasion de se présenter comme le garant de la modération et de la concorde.
Au-delà de la joute oratoire, la controverse rappelle l’exigence d’un vocabulaire politique proportionné aux défis réels : relance économique post-pandémie, diversification hors pétrole, intégration sous-régionale au sein de la CEMAC. En se prononçant contre toute analogie historique outrancière, le Club 2002-Pur ambitionne de ramener le débat sur ces terrains concrets. Les diplomates en poste dans la capitale se disent attentifs à cette évolution, conscients que la crédibilité d’un État se mesure autant à son cadre normatif qu’à la civilité de ses élites.
Ainsi, la polémique née d’une interview outre-frontière pourrait se transformer en opportunité : celle de redéfinir un pacte verbal où l’adversité n’exclut ni la courtoisie ni la fidélité à la vérité factuelle. À l’heure où la diplomatie multilatérale valorise les récits nationaux positifs, le Congo-Brazzaville a tout intérêt à montrer que ses divergences politiques se règlent dans la dignité, loin des comparaisons hasardeuses avec les ténèbres de l’Histoire.