Une dépendance structurelle héritée de l’histoire coloniale
En Namibie, la géographie aride et l’histoire économique continuent de dicter le contenu de l’assiette. L’ancienne administration coloniale avait organisé le territoire autour de l’extraction minière et de l’élevage extensif, délaissant l’agriculture vivrière. Trois décennies après l’indépendance, le legs demeure : près de 50 % des céréales consommées sont toujours importées, principalement d’Afrique du Sud, et la proportion monte à 70 % lorsque la sécheresse frappe le plateau central. En 2022, la facture alimentaire a atteint 464 millions de dollars, un montant exaspérant dans un pays dont le produit intérieur brut par habitant dépasse pourtant la moyenne subsaharienne.
Le coût géopolitique de l’assiette namibienne
Cette dépendance confère à Pretoria un levier silencieux sur Windhoek : la moindre perturbation logistique ou décision phytosanitaire en Afrique du Sud se répercute immédiatement sur les marchés namibiens. « La sécurité alimentaire est une composante de la sécurité nationale », rappelle un diplomate de la SADC, pointant l’enjeu pour l’autonomie stratégique du pays. Les tensions récentes autour des quotas d’exportation sud-africains de maïs ont agi comme un électrochoc, convainquant l’exécutif namibien d’accélérer la révision de son cadre législatif.
Une réforme législative au carrefour de la souveraineté et du climat
Le ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Eau et de la Réforme foncière a présenté le 25 juin 2025 une feuille de route ambitieuse. Elle articule modernisation des exploitations, incitations fiscales pour l’agro-industrie et transfert accéléré de technologies climato-intelligentes. La ministre Inge Zaamwani-Kamwi a insisté sur « la nécessité d’augmenter la productivité sans étendre l’emprise foncière, via des projets verts capables de décarboner la chaîne de valeur ». L’ossature réglementaire mise à jour doit également simplifier l’accès aux titres fonciers communaux, améliorant la bancabilité des petits producteurs et leur inclusion dans les circuits de financement.
Partenariats public-privé : une convergence d’intérêts encore fragile
Depuis 2004, le programme de promotion des parts de marché impose déjà aux importateurs de s’approvisionner localement à hauteur de 47 %. Cette contrainte a fait émerger plusieurs silos coopératifs dans la bande de Caprivi, mais elle reste insuffisante pour amorcer un véritable renversement de tendance. La nouvelle stratégie prévoit des joint-ventures entre l’État, les investisseurs privés et les communautés rurales, un modèle censé accélérer l’agrégation des surfaces cultivées et mutualiser les coûts d’irrigation. Les discussions avancées avec un consortium allemand autour d’un projet pilote associant énergie solaire et irrigation goutte-à-goutte illustrent cette recherche d’équilibre entre rentabilité et intérêt général.
Le défi climatique : sécheresse chronique, innovation obligatoire
Le réchauffement global resserre l’étau sur les marges de manœuvre. Selon les projections de la FAO, la Namibie pourrait perdre jusqu’à 15 % de ses rendements céréaliers d’ici 2035 si aucune adaptation n’est entreprise. Pour contrer cet horizon, Windhoek compte sur les variétés de mil perlé tolérantes à la chaleur, l’extension des systèmes d’alerte précoce et l’utilisation de drones pour l’optimisation hydrique. Le secteur privé voit aussi un vivier d’opportunités dans la filière de l’hydrogène vert, dont les sous-produits permettreaient de fournir de l’ammoniac « bas carbone » aux engrais locaux, réduisant encore la dépendance extérieure.
Vers une diplomatie céréalière régionale
Derrière la réforme interne se profile un repositionnement diplomatique. Windhoek souhaite inscrire ses futures capacités excédentaires dans le plan de réserve alimentaire de la SADC afin de devenir, à moyen terme, un fournisseur de maïs blanc pour les pays côtiers plus densément peuplés. L’initiative s’articule avec la mise en service du corridor logistique Walvis Bay-Maputo, appelée à fluidifier les flux agricoles est-ouest. « Nous ne voulons plus être un simple marché de destination, mais un partenaire d’équilibre régional », affirme un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. Si les investissements se matérialisent, la Namibie pourrait inverser le paradigme : passer du statut d’importateur structurel à celui d’acteur normatif dans la diplomatie des céréales australes.