Une annonce numérique qui verrouille le calendrier politique
C’est par un message laconique, publié aux premières heures d’une matinée de mars sur les réseaux sociaux officiels du Mouvement de résistance nationale, que le président Yoweri Museveni a signifié son intention de briguer un septième mandat en 2026. À quatre-vingts ans, le chef de l’État use ainsi d’un canal devenu classique pour lui : la communication directe avec une base partisane soigneusement entretenue. Cette option numérique, qui contourne les instances traditionnelles de son parti, donne le ton d’une campagne qui se veut immédiatement placée sous le sceau de la continuité et de la maîtrise de l’agenda.
Quarante ans de gouvernance : de la guérilla à l’État régulateur
Entré à Kampala en 1986 après une guerre de brousse, Museveni revendique une transition ininterrompue qui va de la pacification post-conflit à la consolidation d’institutions désormais familières aux observateurs. Le récit officiel, régulièrement révisé lors des commémorations nationales, se veut celui du passage de l’urgence à la planification. Les indicateurs macro-économiques lui donnent partiellement raison : croissance moyenne de 6 % sur deux décennies, réduction sensible de la pauvreté extrême et stabilisation monétaire globalement saluée par les bailleurs de fonds. Ce bilan, brandi comme légitimation, reste cependant inséparable de l’absence d’alternance depuis près de quarante ans.
Aménagements constitutionnels et ingénierie institutionnelle
Les révisions de 2005 puis de 2017, supprimant successivement la limitation des mandats et la borne d’âge de soixante-quinze ans, ont offert à Museveni un horizon juridique dégagé. Les observateurs étrangers soulignent la discipline parlementaire avec laquelle ces amendements ont été adoptés, au terme de débats certes bruyants mais finalement contenus. En arrière-plan, la logique d’un État-parti où le Mouvement de résistance nationale demeure le pivot central limite la concurrence interne. L’exercice renvoie à une forme d’ingénierie institutionnelle dont l’objectif déclaré est la « stabilité », un mot récurrent dans la rhétorique présidentielle comme dans celle de plusieurs chancelleries attirées par la prévisibilité du régime.
Cap sur un PIB de 500 milliards USD : la promesse économique
Le chef de l’État a décliné en cinq séquences la trajectoire économique qu’il souhaite parachever. Après la reconstruction et la libéralisation, vient le temps, selon lui, d’une industrialisation dopée par la science et la technologie. L’objectif affiché – faire passer le produit intérieur brut de 66 à 500 milliards de dollars en cinq ans – paraît ambitieux, voire spéculatif. Toutefois, l’argument porte auprès d’une partie de l’élite urbaine, séduite par l’essor de la filière pétrolière à l’ouest du pays et par les corridors d’infrastructures vers la Tanzanie. La Banque mondiale, tout en saluant les progrès logistiques, rappelle que la démographie ougandaise exige la création d’un million d’emplois par an pour préserver la cohésion sociale.
Un espace politique disputé entre résilience autoritaire et contestation civique
Face à l’annonce du président, Robert Kyagulanyi – l’artiste-député plus connu sous le nom de Bobi Wine – a confirmé qu’il se représenterait. Son mouvement, le National Unity Platform, s’appuie sur une jeunesse urbaine hyperconnectée dont l’impatience contraste avec la prudence des régions rurales, longtemps fidélisées par les programmes étatiques. Les organisations de défense des droits humains évoquent des cas d’arrestations arbitraires et de pressions sur la société civile. Le gouvernement, pour sa part, invoque la nécessité de protéger l’ordre public et nie toute stratégie d’intimidation systématique. Le débat se cristallise ainsi sur la définition même de la sécurité nationale.
Longévité présidentielle et équilibres continentaux
Avec une présence au pouvoir qui s’étend sur quatre décennies, Museveni rejoint un cercle restreint de dirigeants africains de longue date, parmi lesquels le président congolais Denis Sassou Nguesso, dont les partisans soulignent la contribution à la stabilité sous-régionale. L’inscription de l’Ouganda dans ce paysage renforce une interrogation partagée par plusieurs capitales : comment assurer la transition sans fragiliser les architectures sécuritaires régionales ? À Addis-Abeba, certains diplomates rappellent que Kampala constitue un acteur central dans l’Union africaine pour les questions de maintien de la paix, notamment en Somalie. L’hypothèse d’une vacance imprévue du pouvoir demeure donc un scénario redouté par les partenaires de l’Ouganda.
Partenaires extérieurs : entre continuité pragmatique et exigences de gouvernance
Les chancelleries occidentales, tout en saluant l’engagement ougandais dans la lutte antiterroriste, insistent sur l’ouverture politique comme condition d’un soutien financier élargi. La Chine, principal investisseur dans les infrastructures énergétiques, se montre moins prolixe sur la question institutionnelle et privilégie la logique du retour sur investissement. Au sein même de la Communauté d’Afrique de l’Est, les discussions sur l’intégration monétaire révèlent des attentes de transparence budgétaire que Kampala devra concilier avec son calendrier électoral. Pour l’heure, la déclaration de candidature de Museveni rassure les milieux d’affaires en offrant une visibilité à court terme, mais elle prolonge aussi l’incertitude sur la succession, seule variable encore non modélisée par les marchés.
Un scrutin 2026 aux lourds enjeux diplomatiques
Dans cette perspective, l’élection de 2026 ne sera pas seulement un rendez-vous domestique. Elle pèsera sur les missions régionales conduites par l’Ouganda, sur la sécurité du corridor pétrolier EACOP et sur la crédibilité des normes démocratiques promues par l’Union africaine. Pour nombre de diplomates, la principale inconnue ne réside pas tant dans le nom du vainqueur que dans la capacité des institutions à absorber le résultat sans violence. Le pari de Museveni repose sur la conviction qu’une stabilité prolongée constitue en elle-même un facteur de développement. Ses critiques, à l’inverse, estiment que le capital politique s’érode lorsqu’il n’est pas régulièrement remis en jeu par une réelle alternance. Entre ces deux lectures, la communauté internationale cherchera un équilibre fait de pragmatisme et d’exigence, dans une région où la solidité étatique demeure un bien stratégique.