Une artère stratégique pour le Pool
Annoncée à maintes reprises au cours de la dernière décennie, la modernisation de la route Mpiem-Kindamba vient enfin de franchir le cap institutionnel décisif. Long de quelque quatre-vingt-six kilomètres, l’axe relie les localités agricoles de Mpangala au corridor de la Nationale 1, principal vecteur des flux marchands entre Brazzaville et la façade atlantique. Sur les bas-côtés, les producteurs de manioc, de banane plantain ou de cacao regardent passer les convois de camions avec l’espoir, souvent contrarié, de pouvoir écouler leur récolte sans s’enliser dans la latérite. Pour Emmanuel Mabiala, agronome installé à Kimba, « chaque saison des pluies transforme la piste en cloaque et ajoute deux à trois jours de trajet vers les marchés urbains ». La décision ministérielle de consacrer 1,7 milliard FCFA à la remise à niveau de la chaussée est donc perçue comme une bouffée d’air après des années d’isolement économique latent.
Un financement public sous contraintes budgétaires
Annoncé dans un contexte macroéconomique encore tendu par les contrecoups de la pandémie et de la remontée des prix des matières premières, l’investissement s’inscrit dans le Plan national de développement 2022-2026. Le ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondelé, le reconnaît : « Nous finançons ce chantier alors même que les équilibres budgétaires demeurent fragiles, signe de la détermination de l’État à désenclaver chaque département ». Selon les services de la Direction générale de l’Entretien routier, près de 70 % de l’enveloppe provient de la taxe spéciale sur les produits pétroliers, tandis que le solde est adossé à un réaménagement interne des crédits d’investissement. Pour l’économiste Brice Samba, de l’Université Marien-Ngouabi, l’opération illustre « un arbitrage clairement orienté vers la mobilité rurale, gage de diversification hors pétrole ».
Un calendrier serré et un partage des tâches technique
Le marché a été scindé en deux lots afin d’accélérer les travaux. La société Sipam se voit confier le terrassement, le dégagement de l’emprise – dix mètres de large – et le couronnement de la chaussée en latérite compactée sur vingt centimètres. Parallèlement, Universelle Atlantique BTP doit implanter dix-neuf ouvrages hydrauliques, dont un dalot double de section 2 × 2 mètres sur neuf mètres linéaires pour remplacer le pont semi-définitif du PK 42, jugé obsolète. Landry Francis Gouloundou, directeur général de l’Entretien routier, promet « une livraison dans six mois, grâce à des équipes qui travailleront de concert, jour et nuit si nécessaire, pour respecter la fenêtre climatique favorable ». Une mission de contrôle indépendante, recrutée au sein du Bureau de gestion et d’ingénierie des infrastructures, devra valider chaque jalon technique avant décaissement définitif.
Des retombées attendues sur la chaîne de valeur agricole
Au-delà du bitume, les autorités tablent sur un effet multiplicateur. Les projections du ministère de l’Agriculture anticipent une réduction de 35 % des coûts logistiques entre les plantations du Pool et les points de vente de Brazzaville. La marge bénéficiaire des producteurs de vivriers pourrait, selon ces mêmes estimations, progresser de 18 % dès la première campagne suivant la mise en service. « La route est le premier intrant agricole », insiste Mme Rosalie Milandou, présidente du Collectif des femmes rurales de Kindamba, qui rappelle que l’état de la piste compliquait jusqu’ici l’approvisionnement en engrais et semences améliorées. Le transport sanitaire devrait également en bénéficier : la distance qui séparait certains villages des centres de santé se parcourra, une fois la chaussée stabilisée, en moins d’une heure, contre trois aujourd’hui aux heures de pointe pluvieuse.
Une population entre ferveur et vigilance
La cérémonie de lancement organisée sur la Nationale 1, à Mindouli, a réuni élus, notables et sympathisants de tendances politiques diverses, signe qu’un consensus de territoire se cristallise autour du projet. Des chants traditionnels ont ponctué l’arrivée des engins de terrassement, pendant que l’on hissait les drapeaux aux couleurs nationales. Pour autant, la société civile entend suivre l’avancée du chantier avec un œil critique. Le jeune entrepreneur Sylvain Ngoma, porte-parole de l’association Pool Avenir, estime que « la qualité doit primer sur la vitesse ; il ne s’agit pas de livrer un ruban de latérite qui se délite après la première grande pluie ». Le ministère assure, de son côté, que les matériaux seront prélevés sur des carrières homologuées et que les laboratoires d’essai procéderont à des contrôles granulométriques hebdomadaires.
Un jalon pour la stratégie nationale de mobilité rurale
Inscrite dans le programme d’entretien 2025, la réhabilitation de Mpiem-Kindamba n’est qu’une pièce du puzzle. Le gouvernement ambitionne de couvrir les quinze départements, rappelle Juste Désiré Mondelé, en alignant progressivement des interventions similaires, du Kouilou à la Sangha. Dans cette perspective, l’Organisation internationale pour le dialogue et les infrastructures a récemment souligné, dans son rapport annuel, que la maintenance régulière des pistes secondaires prolonge la durée de vie du réseau national à moindre coût. La route du Pool pourrait ainsi servir de laboratoire pour de nouvelles méthodes de suivi à distance, à base de capteurs et de relevés drones, envisagées pour 2026. Au-delà de la brève secousse médiatique, la véritable réussite se mesurera donc à la pérennité de l’ouvrage et à la capacité des collectivités locales à l’entretenir sur le long terme.