Moribaya, maillon clé du corridor transguinéen
À Moribaya, au sud-ouest de Conakry, les tronçons de rails scintillent déjà sous le soleil atlantique. Leur pose illustre la tangible progression d’un corridor de 650 kilomètres destiné à acheminer le minerai de fer de Simandou vers la mer. Lors de sa visite du 23 juin, le ministre des Transports Ousmane Gaoual Diallo s’est félicité de « la matérialisation d’un rêve national », soulignant que l’ouvrage ne sera pas cantonné à l’extraction, mais conçu comme une épine dorsale logistique multipliant les usages civils. À ce stade, près d’un quart de la voie est achevé, une prouesse technique au regard des reliefs traversés entre savanes, plateaux et mangroves.
Un levier pour la diversification économique guinéenne
Le pari économique est d’ampleur. Simandou concentre l’un des gisements de fer les plus riches de la planète, évalué à plus de deux milliards de tonnes. Pour Conakry, l’équation dépasse la simple rente minière : le corridor pourrait catalyser la création d’environ 30 000 emplois directs et indirects, irriguer les zones enclavées de la Guinée forestière et stimuler des chaînes de valeur connexes (ciment, acier, services maritimes). Selon une modélisation du ministère de l’Économie, le port pourrait accroître de 6 % les recettes fiscales à l’horizon 2035, sous réserve que les contrats de partage de production demeurent transparentement appliqués.
Défis environnementaux et exigences de gouvernance
Cette projection optimiste se heurte toutefois aux réalités environnementales. Le tracé longe plusieurs réserves de biodiversité, dont le massif du Ziama. Les ONG locales redoutent une déforestation accrue et l’altération des nappes phréatiques. Le gouvernement assure avoir imposé des critères ESG inspirés des normes IFC, mais la capacité d’audit reste limitée. Par ailleurs, la maîtrise des flux financiers demeure cruciale : l’accord tripartite entre l’État, la multinationale Rio Tinto et le consortium WCS doit encore faire l’objet d’un suivi parlementaire afin d’éviter la spirale d’endettement qui a grevé d’autres mégaprojets africains (Banque mondiale, 2024).
Implications géopolitiques régionales
Au-delà des frontières guinéennes, Moribaya résonne comme une pièce de l’échiquier ouest-africain. Alors que l’option d’exporter le minerai via le Liberia demeurait moins coûteuse, Conakry a privilégié une solution domestique pour consolider sa souveraineté logistique. Cette décision ravive la compétition portuaire avec Abidjan, Lomé et Dakar, tous désireux de capter le transit des minerais sahéliens. Plusieurs chancelleries observent également la montée en puissance de Pékin, présent à travers la société chinoise SMB-Winning et ses facilités de crédit. Washington, pour sa part, encourage la diversification des fournisseurs de fer afin de réduire la dépendance aux bassins brésilien et australien, jugés vulnérables aux cycles climatiques et aux tensions commerciales.
Une équation budgétaire encore mouvante
Le financement global, estimé autour de 17 milliards de dollars, reste partiellement bouclé. Le Trésor guinéen ne peut assumer qu’une fraction de la charge, d’où un recours massif aux partenariats public-privé. Les négociations avec l’Exim Bank of China, la Banque islamique de développement et la Société financière internationale progressent, mais le coût marginal du capital s’est accru depuis le resserrement monétaire mondial. Certains diplomates européens redoutent un scénario de « diplomatie de la dette », à l’image du port de Hambantota au Sri Lanka. Le ministre Diallo répond en invoquant une « structure syndiquée » diversifiée, incluant des obligations vertes pour financer la portion ferroviaire électrifiée.
Regards des communautés locales et impératif social
Sur le terrain, l’accueil demeure contrasté. Si la promesse d’emplois nourrit l’espoir, des notables de Forécariah réclament une part plus importante des bénéfices et des mesures de réinstallation encadrées. Selon une enquête de l’ONG COGINT, 17 % des ménages riverains considèrent avoir été indemnisés à un niveau « acceptable » pour la cession de leurs terres. Conakry promet désormais un fonds d’impact local crédité de 0,5 % du chiffre d’affaires du futur port, alimentant des infrastructures scolaires et sanitaires. Le délai de mise en œuvre, cependant, reste flou, alors que la contestation pourrait s’amplifier à mesure que les engins de chantier s’approchent des zones habitées.
À l’horizon 2030 : risque ou opportunité ?
En définitive, Moribaya cristallise la tension classique entre accélération extractive et quête de développement durable. Dans un contexte post-pandémie où les marchés réclament des matières premières pour la transition énergétique, la Guinée détient une carte maîtresse. Le succès du projet dépendra de la robustesse des institutions de contrôle, de la capacité à faire respecter les normes sociales et environnementales et de la volonté politique de convertir la rente minière en capital humain. Comme le résume un diplomate ouest-africain : « La mer ne fait pas forcément la prospérité, il faut aussi savoir naviguer. »