Un sanctuaire à nouveau fréquentable
Au cœur de la ceinture verte de Brazzaville, le site dénommé « Mont Carmel » s’est remis à vibrer aux accents de cantiques et de tambours le 27 juillet dernier. Trois ans plus tôt, une décision conjointe des ministères en charge de l’Administration territoriale et des Affaires religieuses avait ordonné sa fermeture, au motif officiel de « non-conformité aux normes de sécurité et de santé publique ». La pandémie de Covid-19 avait renforcé la prudence des autorités, soucieuses d’éviter les rassemblements massifs non contrôlés. Malgré le silence des haut-parleurs, le lieu n’a jamais quitté la cartographie spirituelle des Congolais, tant la communauté du Ministère chrétien du combat spirituel-Congo (MCCS-Congo) reste dispersée mais soudée.
Le culte inaugural, présidé par l’apôtre Bruno Jean Richard Itoua, marque une page que les fidèles comparent volontiers au retour d’exil de la communauté juive à Jérusalem. La métaphore, empruntée au livre de Josué, traduit l’émotion ressentie par des milliers de croyants qui, durant trois ans, ont célébré leurs liturgies sous des toits provisoires. Aux côtés du bishop Néhémie Kabeya et de l’apôtre Jean-Baptiste Bafoungissa, l’assistance a salué la « patience constructive » des pouvoirs publics dont l’approche graduelle a finalement conduit à l’allègement des mesures.
La régulation religieuse, un exercice d’équilibriste
La République du Congo revendique depuis la Constitution de 2015 un régime laïque garantissant la liberté de conscience tout en encadrant l’expression religieuse dans l’espace public. L’article 29 dispose que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions ou convictions religieuses ». Dans les faits, le ministère des Affaires religieuses joue un rôle d’arbitre, entre préservation de l’ordre public et promotion du pluralisme cultuel. La fermeture du Mont Carmel s’inscrivait dans cette logique: sécuriser les fidèles, mais aussi rappeler l’exigence de respect de la législation sur les lieux de rassemblement.
Pour certains observateurs, la décision de rouvrir le site traduit un « consensus pacifié » entre l’État et les organisations confessionnelles, dans un contexte régional parfois marqué par l’instrumentalisation politique de la foi. « Le gouvernement est attentif à ce que l’espace religieux demeure un facteur d’unité nationale », analyse un haut responsable du ministère, qui insiste sur la concertation régulière avec les têtes d’églises.
Un mouvement charismatique enraciné, mais en quête de normalisation
Fondé dans les années 1990 par le couple Hervé et Jeanne Ila Olangui, le MCCS-Congo appartient à la nébuleuse charismatique africaine, caractérisée par un prosélytisme dynamique et un discours axé sur la délivrance spirituelle. Sa popularité, notamment dans la jeunesse urbaine, a suscité certaines crispations, souvent amplifiées par la concurrence économique entre dénominations. Officiellement, le ministère revendique près de 500 000 sympathisants en Afrique centrale. Cette force de mobilisation constitue un atout social, mais également une responsabilité: celle d’assurer une gouvernance interne transparente, conforme au statut d’association cultuelle reconnu par les textes congolais.
Au cours des négociations ayant conduit à la réouverture, l’administration aurait requis des garanties sur la capacité du MCCS à encadrer l’affluence, à déclarer ses recettes et à respecter les obligations fiscales communes à toutes les structures religieuses. L’apôtre Itoua affirme que « la collaboration avec l’État est une bénédiction double: elle nous protège et nous rappelle notre devoir de témoignage exemplaire ». Ces propos, rapportés par la radio publique, traduisent la volonté d’inscrire le mouvement dans un dialogue institutionnel plus régulier.
Incidences socio-diplomatiques d’une réouverture
Au-delà de la dimension spirituelle, la réouverture du site de Mont Carmel intervient dans un environnement géopolitique où la diplomatie du soft power religieux gagne en importance. Brazzaville, qui abrite le siège de plusieurs organisations sous-régionales, s’emploie à projeter l’image d’une capitale de tolérance et de stabilité. La normalisation du MCCS-Congo rappelle que l’État est capable de concilier vigilance sécuritaire et ouverture pluraliste, un signal suivi avec attention par les chancelleries occidentales et africaines.
Sur le plan intérieur, les retombées économiques ne sont pas négligeables: afflux de pèlerins, relance des petites activités commerciales, emplois temporaires liés à l’entretien du site. La mairie de Makélékélé espère ainsi percevoir des taxes de stationnement et de marché, tandis que les hôteliers du sud de Brazzaville anticipent, selon leurs syndicats, une hausse de 15 % du taux d’occupation lors des grands rassemblements liturgiques. Autant d’éléments susceptibles de consolider le message présidentiel sur la « paix rentable », formule régulièrement employée pour souligner la corrélation entre stabilité politique et développement local.
Vers un nouveau pacte foi-société
Les dirigeants du MCCS-Congo ont fixé à l’année 2025 le thème du « couronnement » censé clôturer la traversée du désert évoquée lors du culte inaugural. Sur le terrain, cela se traduit par une programmation d’activités sociales – campagnes de dépistage gratuit, distribution de kits scolaires, collecte de sang – qui rejoint l’objectif gouvernemental de responsabilité citoyenne des confessions religieuses. En associant action caritative et liturgie, le mouvement entend s’inscrire dans la stratégie nationale de cohésion sociale adoptée en 2021.
Le pari n’est pas exempt de défis. Les attentes des fidèles, nourries par trois ans d’attente, sont considérables. Il faudra maintenir un haut niveau de rigueur organisationnelle pour éviter que l’engouement ne se traduise par des débordements logistiques. Toutefois, les signaux convergent: la reprise du Mont Carmel s’accompagne d’un encadrement institutionnel clarifié, d’une volonté affichée de s’aligner sur les prescriptions administratives et d’un climat d’écoute entre pouvoir civil et autorités ecclésiales.
Regards projetés
Au fil des ans, le Congo-Brazzaville s’est efforcé de promouvoir une gouvernance religieuse basée sur le dialogue constructif. La page qui s’ouvre pour le MCCS-Congo constitue un laboratoire de ce modèle. Si elle se déroule sans anicroche, elle pourrait inspirer d’autres États de la sous-région confrontés à la régulation parfois délicate de méga-églises en pleine expansion. À l’inverse, tout dérapage serait scruté et interprété à l’aune de la promesse d’équilibre brandie par les autorités.
Pour l’heure, le Mont Carmel tourne à nouveau ses projecteurs vers le ciel, mais ses fondations s’enracinent plus que jamais dans la terre des réalités administratives et sociales. Fidèles, riverains et décideurs semblent s’accorder sur un point : la sacralité du lieu ne saurait se soustraire à la citoyenneté, et la citoyenneté gagne à se nourrir de la profondeur spirituelle. Aux marges des collines de Brazzaville, c’est tout le contrat social congolais qui se décline, à voix haute, dans un chœur où l’État tient le tempo et les croyants entonnent la mélodie.