Un laboratoire linguistique au cœur de Brazzaville
La salle de conférences du rectorat de l’Université Marien-Ngouabi a vibré, le 30 juillet, au rythme feutré des pages que l’on tourne et des stylos qui griffonnent. Vingt candidates, âgées de seize à quarante ans, y ont inauguré la seconde édition de « Miss Mayele », un concours littéraire dont l’intitulé – « mayele » signifiant « ingéniosité » en lingala – évoque d’emblée l’ambition : démontrer que l’intelligence grammaticale n’est l’apanage d’aucun sexe. Dans une atmosphère studieuse, les participantes, issues de lycées, d’universités et de l’administration publique, ont exploré les méandres des accords du participe passé ou des subtilités du passé simple. L’épreuve, composée de quatre-vingt questions à choix multiples, n’était pas un simple exercice scolaire ; elle constituait un rite d’initiation où la langue française devient instrument de pouvoir et de projection professionnelle.
Une pédagogie pensée pour l’autonomisation
À l’origine de cette aventure se trouve la professeure Sylvia Djouob, Congolaise établie à Paris, qui rappelle avec constance que « le cerveau n’a pas de sexe ». Son propos ne relève pas de la posture mais d’une conviction forgée dès l’adolescence, lorsqu’elle remporta à Dakar le premier prix international de la meilleure nouvelle en langue française. « Je demeure, à ce jour, la seule lauréate congolaise de ce trophée ; il est temps d’ouvrir la voie », confie-t-elle. En diversifiant les épreuves – la dictée reine de 2022 cède place à un triptyque orthographe-grammaire-vocabulaire – l’initiatrice veut rompre la monotonie et favoriser l’interactivité. Surtout, elle inscrit sa démarche dans un continuum : des séances de révision en ligne précèdent la compétition, tandis que le suivi post-concours s’appuie sur des ateliers de lecture et des clubs de débat. L’idée est claire : doter les jeunes femmes d’outils linguistiques susceptibles d’aiguiser leur esprit critique et de consolider leur confiance dans la sphère professionnelle, qu’il s’agisse de journalisme, de diplomatie ou de gestion publique.
Le soutien institutionnel, clef de voûte du projet
Si « Miss Mayele » s’enracine dans l’initiative privée, sa pérennité repose sur un partenariat assumé avec les autorités nationales. Le rectorat de l’Université Marien-Ngouabi a non seulement mis à disposition ses locaux, mais mobilisé un comité scientifique chargé de certifier la validité académique des questions. Plus en amont, le concours s’inscrit dans la dynamique instaurée par le « Grand Prix Denis Sassou Nguesso » de la dictée, dont un extrait des écrits présidentiels avait servi de support inaugural. Ce continuum témoigne d’une volonté politique de promouvoir la francophonie comme vecteur de cohésion et de rayonnement. Aux yeux de plusieurs observateurs, le fait que la remise des prix 2023 du concours de dictée accompagne celle de « Miss Mayele » confirme la cohérence stratégique d’une diplomatie culturelle centrée sur la langue de Molière.
Entre soft power et diplomatie de la connaissance
Au-delà de l’événementiel, le concours participe d’un soft power congolais encore discret mais tangible. Dans un monde où la géopolitique de la langue gagne en intensité, Brazzaville saisit l’opportunité d’utiliser le français – troisième langue la plus enseignée au monde – comme trait d’union entre aspirations locales et réseaux internationaux. Les dotations en dictionnaires, manuels de grammaire et abonnements numériques traduisent cette orientation : le livre devient passeport, la syntaxe un outil de négociation. Les missions diplomatiques étrangères, présentes le jour des épreuves, ont souligné le potentiel d’essaimage du concept dans la sous-région. L’ambassadeur d’un État voisin a reconnu que « l’initiative s’accorde pleinement avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui promeut l’éducation des filles comme moteur de transformation socio-économique ».
Perspectives d’un levier de développement
Les résultats officiels seront proclamés le 31 juillet dans l’enceinte même du rectorat. Au-delà des récompenses symboliques, la professeure Djouob amorce déjà la suite : décliner « Miss Mayele » en olympiades régionales, conclure des partenariats avec des maisons d’édition et associer les lauréates à des programmes de mentorat. « Le 8 mars ne se limite pas au port du pagne ; il questionne notre contribution réelle au développement », insiste-t-elle. En écho, plusieurs ministères envisagent d’intégrer le concours aux célébrations officielles de la Journée internationale de la femme, offrant ainsi une visibilité accrue aux championnes de la grammaire. En conjuguant l’érudition au féminin singulier et la solidarité au féminin pluriel, « Miss Mayele » éclaire une voie où l’orthographe s’immisce, discrète mais décisive, dans le projet national de modernisation.