Une artère invisible de l’économie mondiale
Dans la rhétorique onusienne, les micros, petites et moyennes entreprises (MPME) sont dépeintes comme « la clef de voûte » du système productif contemporain. L’image n’a rien d’exagéré : plus de 90 % des entités commerciales enregistrées appartiennent à cette catégorie, générant, selon la Banque mondiale, plus de la moitié du PIB global et sept emplois sur dix. Leur densité est particulièrement marquée dans les économies émergentes, où elles structurent les marchés domestiques, irriguent les chaînes de valeur régionales et soutiennent l’insertion professionnelle des jeunes. « Leur ingéniosité produit des solutions révolutionnaires qui profitent à l’ensemble de la société », rappelle António Guterres dans un message rendu public le 25 juin, à l’orée de la célébration du 27 juin. En d’autres termes, les MPME constituent la circulation sanguine de l’économie mondiale : invisibles jusqu’à la moindre perturbation, vitales dès qu’une crise survient.
Les angles morts d’un écosystème financier inachevé
Malgré ce rôle cardinal, la plupart des MPME demeurent confrontées à un accès au crédit notoirement restreint. La Société financière internationale chiffre le déficit de financement à quelque 5 000 milliards de dollars par an, soit l’équivalent du PIB du Japon. Le coût du capital reste prohibitif, surtout dans les États où la prime de risque souveraine renchérit chaque ligne de prêt. Faute de garanties tangibles, nombre d’entrepreneurs se tournent vers l’informel, sacrifiant toute possibilité de montée en gamme. Les programmes publics d’allègement fiscal ou de subventions ciblées sont fréquemment temporaires, créant des effets de seuil plus déstabilisants que protecteurs. Comme le résume un diplomate ouest-africain, « nous avons construit des couloirs prioritaires sans jamais en poser les rails ». Le constat souligne l’urgence d’un écosystème financier davantage adossé à des garanties multilatérales et à des produits de dette mixte.
Le prisme géopolitique des chaînes de valeur
La compétition stratégique entre grandes puissances redessine les flux commerciaux et, partant, l’environnement des MPME. La logique de friend-shoring, adoptée par Washington et partiellement suivie à Bruxelles, privilégie des fournisseurs jugés « géopolitiquement sûrs ». Dans les faits, ces réorientations peuvent éroder les parts de marché de petites unités asiatiques ou africaines, soudain éclipsées par des partenaires disposant d’accords de sécurité plus solides. De surcroît, l’extraterritorialité de certaines législations – qu’il s’agisse des sanctions secondaires ou des normes environnementales de l’UE – impose aux MPME un coût de conformité que seules de grandes firmes peuvent amortir. « Il existe un risque de bipolarisation du commerce qui laisserait les petites structures sur le quai », alertent plusieurs experts de la CNUCED.
Transformation numérique : promesse et fracture
L’infrastructure numérique incarne simultanément l’opportunité et la limite de l’expansion des MPME. Le commerce électronique, les plateformes de paiement instantané ou l’intelligence artificielle générative ouvrent des marchés planétaires à un coût marginal quasi nul. Pourtant, le Digital Economy Report 2023 note que moins de 30 % des petites entreprises africaines disposent d’une connexion haut débit fiable. À cette fracture d’accès s’ajoute une fracture de compétence : la mise en œuvre d’algorithmes d’optimisation logistique ou de ciblage marketing suppose des talents encore rares hors des grandes métropoles. Le secrétaire général de l’ONU insiste donc sur la nécessité d’« élargir l’accès aux technologies émergentes » et d’instaurer des programmes de formation agiles, capables d’accompagner les transitions sectorielles accélérées par l’IA.
Vers un pacte multilatéral rénové
Face à ces défis entremêlés, plusieurs capitales plaident pour un nouveau mécanisme multilatéral mobilisant garanties publiques, financements concessionnels et transferts technologiques. La proposition, portée par le Mexique et le Ghana, serait discutée lors du Sommet du Futur à New York. Elle vise à mutualiser le risque crédit, simplifier l’accès des MPME aux marchés publics internationaux et financer des hubs numériques décentralisés. Reste la question de la gouvernance : comment s’assurer que les fonds ne s’assèchent pas sous le poids des conditionnalités ? Certains observateurs suggèrent la création d’indicateurs de performance liés à l’emploi féminin et à la décarbonation, afin de maintenir l’alignement sur les objectifs de développement durable. Concluons avec les mots de Guterres : « Les MPME sont souvent les premières touchées, mais également les plus résilientes ». La communauté internationale tient désormais entre ses mains la capacité de transformer cette résilience en prospérité partagée.