Un accord bilatéral à forte teneur symbolique
En paraphant à Nouakchott leur mémorandum de coopération, la Fédération marocaine des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME) et son homologue mauritanienne (FIME) ont officialisé un rapprochement discret mais constant entre les deux rives méridionales du Sahara. Derrière la promesse de transferts de savoir-faire dans l’acier, la fonderie ou la robotique, le texte matérialise l’ambition, déjà exprimée par Mohammed VI et Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, de substituer une diplomatie économique à une géopolitique longtemps crispée.
La Mauritanie en quête de diversification post-extractive
Pour Nouakchott, l’enjeu dépasse la modernisation de quelques ateliers. Le pays, dont le fer représente encore près d’un tiers des exportations, cherche depuis une décennie à sortir de la dépendance aux cours internationaux des minerais. Selon Atiam Tijani, ministre des Mines et de l’Industrie, « les partenariats avec le secteur privé marocain ouvrent la voie à une transformation locale de nos matières premières et à la création d’emplois qualifiés ». La disponibilité d’un port en eau profonde à Nouadhibou, couplée à l’émergence de projets gaziers offshore, fournit à la Mauritanie l’énergie et la connectivité indispensables à cette montée en gamme.
Le Maroc consolide sa projection africaine
Côté marocain, l’accord s’inscrit dans une stratégie patiente de pénétration des marchés subsahariens, entamée dans la banque, les télécoms puis l’engrais. Rabat mise à présent sur l’intégration industrielle pour conforter son statut de plateforme continentale. « Le savoir-faire accumulé dans l’automobile et l’aéronautique peut irriguer les chaînes de valeur régionales », plaide Rachid Bahi, directeur au ministère de l’Industrie. L’axe Casablanca-Nouakchott offrirait ainsi un débouché supplémentaire aux aciéries de Jorf Lasfar ou de Nador West Med, tout en sécurisant l’approvisionnement mauritanien en matériels roulants, pièces détachées et solutions de maintenance.
Synergies face à la transition énergétique maghrébine
La dimension électromécanique du protocole n’est pas anodine. Les deux pays, signataires de l’Accord de Paris, devront verdir des secteurs à forte intensité carbone. Le partage d’expertise sur les aciers verts, la récupération de la ferraille et les équipements pour l’hydrogène renouvelable figure déjà parmi les pistes de coopération. Plusieurs analystes évoquent la possible extension de la liaison électrique Maroc-Mauritanie pour alimenter en énergie solaire les futures unités de laminage mauritaniennes, atténuant la volatilité du coût de l’électricité, talon d’Achille du secteur métallurgique.
Enjeux commerciaux et cadres normatifs à harmoniser
Si l’Union africaine prône l’entrée en vigueur intégrale de la Zone de libre-échange continentale, les flux bilatéraux Maroc-Mauritanie restent entravés par des procédures douanières lourdes et des normes techniques disparates. Le mémorandum annonce un chantier d’harmonisation des standards de soudure, de galvanisation et de certification qualité. Les industriels espèrent ainsi réduire les surcoûts logistiques sur l’axe Tanger-Dakar, où transitent déjà près de 200 000 camions par an, et faire de la Mauritanie une tête de pont vers le Sahel.
De la déclaration d’intention à l’investissement concret
Les obstacles ne manquent pas. Volatilité politique mauritanienne, concurrence turque dans la sidérurgie d’Afrique de l’Ouest, accès au financement en devises ou encore nécessité de former une main-d’œuvre spécialisée constituent des paramètres cruciaux. Les fédérations signataires promettent un comité de suivi mixte et des visites industrielles trimestrielles. Déjà, un projet pilote de centre de formation en mécatronique, cofinancé par la Banque africaine de développement, est évoqué pour fin 2024. Reste à voir si les investisseurs traduiront ces bonnes intentions en usines, à l’heure où la conjoncture internationale incite à la prudence.
Une coopération Sud-Sud aux airs de test régional
Au-delà de ses retombées économiques immédiates, l’accord fonctionne comme un laboratoire de la diplomatie industrielle maghrébine. En conjuguant capital marocain, minerai mauritanien et normes internationales, il offre un précédent susceptible d’inspirer d’autres alliances sectorielles, de l’agro-industrie à la pharmaceutique. « Notre partenariat démontre qu’il existe un espace de prospérité partagée au sud de la Méditerranée », assure Abdelhamid Souiri, président de la FIMME. À l’heure où l’Europe reconfigure ses chaînes d’approvisionnement, Rabat et Nouakchott entendent prouver que la valeur ajoutée peut désormais se créer, et se négocier, au cœur même du continent africain.