Un accord sportif aux résonances stratégiques
Signé jusqu’en juin 2027, le contrat de Merveil Ndockyt avec le NK Rijeka ne saurait se réduire à une simple ligne comptable du mercato estival. En s’attachant les services de l’international congolais, récent artisan des performances d’Osijek et de Gorica, le champion de Croatie 2025 affirme une volonté de consolider son accès aux préliminaires de la Ligue des champions. Or, la compétition continentale n’est plus seulement une vitrine sportive ; elle s’est muée en tribune diplomatique pour les clubs issus des marges balkaniques désireux de converser avec les capitales européennes. Les recettes télévisuelles, à peine évoquées, masquent mal un autre dividende : la reconnaissance géopolitique que procure une exposition hebdomadaire face aux grands noms de l’Union.
Dans les bureaux feutrés du club, un dirigeant confie que « le recrutement d’un joueur formé sur trois continents démontre notre maturité internationale ; il ouvre aussi des portes à Rijeka dans les chancelleries africaines ». La phrase est moins anodine qu’il n’y paraît. Depuis la guerre en Ukraine, Zagreb encourage silencieusement ses clubs phares à diversifier leurs réseaux d’influence au-delà de l’espace post-soviétique, offrant, à travers le sport, un prolongement discret de la politique étrangère nationale.
Le NK Rijeka, vitrine du renouveau croate
Rijeka s’est imposée comme la tête de pont d’une Croatie dont la diplomatie sportive complète l’adhésion à l’euro et l’espace Schengen. En relevant le défi d’un effectif pluriel, le club relaie la stratégie du ministère croate des Affaires étrangères qui multiplie les initiatives de “nation branding” dans les secteurs culturel et sportif. La sélection de Ndockyt est ainsi présentée par le président Damir Mišković comme « l’illustration de l’ouverture de la Croatie vers l’Afrique centrale, région en plein essor démographique et économique ».
Cette flatterie n’est pas sans arrière-pensée. Le port adriatique souhaite accroître son trafic de conteneurs, et Brazzaville, qui modernise en parallèle le port de Pointe-Noire, s’avère un partenaire naturel. Par un jeu subtil de correspondances, l’arrivée du milieu congolais devient un message adressé autant aux recruteurs qu’aux diplomates : Rijeka entend s’inscrire dans les futures routes logistiques qui relieront l’Afrique au cœur de l’Europe méridionale.
Brazzaville-Rijeka : la diagonale de la globalisation du ballon
Merveil Ndockyt incarne mieux que quiconque la fluidité des trajectoires contemporaines. Formé au CNFF puis révélé à l’AC Léopards, il a tour à tour affronté les rigueurs tactiques albanaises, la technicité de la Segunda espagnole et la densité physique du championnat croate. Chaque étape raconte la porosité grandissante des circuits de talents africains, moins aimantés par les cinq grandes ligues qu’attirés par des marchés intermédiaires où le temps de jeu est garanti et les passerelles vers l’UE ouvertes.
À Brazzaville, le ministère des Sports salue un « ambassadeur informel » capable de rediriger sur le long terme des investisseurs croates vers les infrastructures congolaises. À l’inverse, les supporters de Rijeka découvrent un joueur polyglotte, détenteur d’un passeport sportif forgé dans quatre pays, promesse d’un vestiaire cosmopolite dont la cohésion sera scrutée par les observateurs européens.
Une bataille balkanique pour le talent africain
Le recrutement de Ndockyt se lit également à travers la rivalité régionale. Zagreb et Belgrade suivent avec attention les flux de joueurs africains qui, après avoir transité par l’Académie de Dakar ou la Ligue ghanéenne, deviennent des actifs stratégiques sur les marchés des droits télévisés. Les clubs bulgares et grecs, Lavov en tête, ont déjà capitalisé sur ces mouvements pour alimenter leur propre soft power. En attirant un international congolais au palmarès continental — vainqueur de la Ligue Europa 2017 avec Tirana et finaliste de la Ligue Conférence 2022 avec Osijek — Rijeka affirme sa compétitivité idéologique face aux voisins serbes et bulgares.
À Bruxelles, des experts y voient un signe de la « maturation footballistique du corridor adriatique » qui, demain, pourrait prétendre à un siège renforcé dans les instances de l’UEFA. La perspective rebat les équilibres de vote et d’influence, surtout à l’heure où la gouvernance du football européen s’entremêle aux dossiers énergétiques et migratoires.
Calendrier continental et dividendes à court terme
Dans l’immédiat, Merveil Ndockyt, sous l’œil vigilant de son agent historique Youcef Boudjemai, disputera cinq rencontres amicales – Primorje, Oleksandriya, Čukarički, Bravo, Göztepe – avant de se mesurer, le 22 ou 23 juillet, au vainqueur de Ludogorets-Minsk lors du second tour préliminaire de Ligue des champions. Ces affiches, modestes sur le papier, sont cruciales pour le coefficient UEFA de la Croatie, qui joue ses chances d’obtenir un billet direct pour la phase de groupes en 2027.
Chaque minute jouée par le Congolais sera évaluée par les analystes financiers du club, conscients que la qualification pour un troisième tour, prévu les 7 et 12 août, pourrait rapporter jusqu’à quatre millions d’euros de primes et accroître l’attractivité de Rijeka auprès d’entreprises régionales en quête de visibilité paneuropéenne. « Le foot n’est qu’un prétexte », glisse un conseiller économique du gouvernement croate ; « ce sont les contrats de sponsoring logistique qui, in fine, nourrissent la croissance ».
Sur la touche, les diplomates observent. Car si le ballon rond nourrit les rêves des supporters, il trace aussi des corridors d’influence où se rencontrent intérêts économiques et stratégies d’image. Le transfert de Merveil Ndockyt rappelle, à sa manière, combien le sport peut irriguer la politique étrangère d’un État de moins de quatre millions d’habitants soucieux de peser dans une Europe reconfigurée.