Une convergence stratégique discrète
Sous un soleil d’hiver atténué, l’avion gouvernemental marocain s’est posé sur le tarmac de Nouakchott avec, à son bord, le lieutenant-général Mohamed El Abbar, inspecteur du Service de santé des Forces armées royales. Reçu par le ministre mauritanien de la Défense, Hanane Ould Sidi, entouré de ses plus proches conseillers, le haut gradé a déroulé un agenda dense devant la Commission militaire mixte. Derrière les formules protocolaires, chacun mesurait la portée d’un déplacement organisé dans un climat régional tendu, marqué par la poussée des groupes armés non étatiques entre l’Atlantique et le lac Tchad.
« La santé opérationnelle est la première munition du soldat », glissait, à Rabat, une source proche de l’état-major, soulignant l’évidence tactique d’une coopération jusque-là sous-médiatisée. Depuis le rétablissement de relations diplomatiques complètes en 2011, Rabat et Nouakchott se sont gardés de surexposer leur rapprochement, préférant avancer par dossiers techniques. La santé militaire constitue l’un des vecteurs les plus neutres et, paradoxalement, les plus performatifs pour signaler une solidarité qui dépasse le simple échange de manuels.
Des enjeux sanitaires aux enjeux sécuritaires
En Mauritanie, vaste pays aux frontières poreuses, la question sanitaire est indissociable de la question sécuritaire. Les forces déployées dans la zone frontalière avec le Mali opèrent dans des conditions climatiques extrêmes, exposées à des blessures balistiques autant qu’aux pathologies vectorielles. Rabat propose un accompagnement articulé autour de la médecine d’urgence, de la télémédecine et de la prévention épidémiologique. L’objectif officiel est de réduire le délai d’évacuation et d’optimiser le retour en opération des personnels, un paramètre décisif dans la lutte contre les groupes jihadistes mobiles.
Du côté marocain, l’expérience acquise au théâtre africain – notamment en République centrafricaine dans le cadre des opérations de l’ONU – offre un référentiel que Nouakchott cherche à internaliser. « Nous voulons conjuguer les efforts pour la sécurité humaine et territoriale », confie sous anonymat un officier supérieur mauritanien. La coopération médicale devient alors un multiplicateur de puissance douce, permettant aux deux pays de projeter une image stabilisatrice auprès des partenaires européens qui financent partiellement l’architecture sécuritaire sahélienne.
Un transfert de savoir-faire médico-militaire
Le protocole discuté à Nouakchott prévoit, selon nos informations, l’accueil annuel d’une vingtaine d’internes mauritaniens dans les hôpitaux militaires de Rabat et de Marrakech, ainsi que l’envoi de formateurs marocains spécialisés en chirurgie de guerre et en logistique pharmaceutique. Cette mobilité sud-sud repose sur un schéma éprouvé : immersion clinique, stages en simulation, puis déploiement supervisé sur le terrain mauritanien.
Elle inclut également la mise à niveau des infrastructures du centre hospitalier militaire de Nouakchott, avec la fourniture d’unités de triage mobile et de laboratoires de dépistage rapides. La philosophie affichée est celle d’une autosuffisance progressive. « Il ne s’agit pas de dépendance, mais de codéveloppement », insiste un médecin-colonel marocain, soucieux de marquer la différence avec les partenariats asymétriques hérités de la période post-coloniale.
Lectures régionales et internationales
Au-delà du strict périmètre sanitaire, cette entente médico-militaire s’inscrit dans une compétition d’influence qui oppose, de manière feutrée, plusieurs acteurs maghrébins et moyen-orientaux. Alger suit avec attention les initiatives de Rabat dans l’espace sahélien, tandis que Doha et Abou Dhabi testent également des instruments de coopération humanitaire pour accroître leur visibilité stratégique. Dans ce bal diplomatique, la Mauritanie joue la carte du multilatéralisme pragmatique, tirant parti de son positionnement géographique charnière entre Maghreb et Afrique de l’Ouest.
L’Union européenne, préoccupée par les flux migratoires et le terrorisme transfrontalier, accueille favorablement l’initiative, y voyant un renforcement des « capacités locales ». Paris, encore engagée dans la Task Force Takuba malgré la réduction de son empreinte, encourage discrètement la montée en puissance de partenaires africains susceptibles de prendre le relais. Le dossier médico-militaire devient donc un indicateur de l’aptitude des armées nationales à assumer des opérations de stabilisation sans appui massif occidental.
Défis opérationnels et perspectives
Malgré l’enthousiasme officiel, plusieurs défis demeurent. La pénurie de personnel qualifié en zones reculées, la continuité logistique des chaînes du froid et la cybersécurité des données médicales figurent parmi les préoccupations récurrentes. Les deux états-majors disent travailler à la création d’un référentiel commun de procédures, afin de garantir l’interopérabilité lors des exercices conjoints prévus pour 2024.
À plus long terme, Rabat et Nouakchott envisagent d’élargir la coopération à la médecine vétérinaire militaire, cruciale pour la surveillance des zoonoses dans les régions pastorales, et à la recherche sur le stress post-traumatique, encore peu documenté au Sahel. S’il est trop tôt pour mesurer l’impact réel de cette alliance, un consensus se dessine parmi les observateurs : la diplomatie sanitaire ne se limite plus à un outil humanitaire, elle devient un pilier de la sécurité collective et un marqueur de souveraineté régionale.