Nouvelle dynamique logistique au Congo
À Brazzaville, la signature de la convention de 737 millions d’euros entre le Chemin de Fer Congo-Océan (Cfco) et Ulsan Mining Congo S.a.u marque un tournant dans la stratégie d’infrastructures du pays. L’accord vise la réhabilitation intégrale de la ligne Mayoko–Pointe-Noire, artère de 312 kilomètres devenue, avec le temps, l’un des maillons fragiles de l’économie nationale. Le projet n’est pas une simple remise à niveau technique : il consacre la renaissance d’un corridor vital pour l’acheminement du minerai de fer et, au-delà, l’ancrage du Congo dans les chaînes de valeur industrielles régionales.
Une coopération turco-congolaise à haute valeur ajoutée
Le rapprochement entre Brazzaville et Ankara, impulsé par les présidents Denis Sassou Nguesso et Recep Tayyip Erdoğan, se concrétise ici par la combinaison de financement, de transfert technologique et de projection industrielle. Ulsan Holding s’engage à fournir une flotte initiale de vingt locomotives et plus de trois cents wagons, gage d’une capacité de traction pouvant dépasser huit millions de tonnes par an. Selon l’administrateur directeur général de la Société d’Exploitation du Fer de Mayoko-Moussondji, Vakkas Karaoğlu, « le rail est la colonne vertébrale logistique de notre investissement minier ». Cette articulation rail-mine reflète un modèle intégré, déjà éprouvé sur d’autres corridors africains, mais rarement porté à une telle échelle de modernisation au Congo.
Un levier socio-économique pour les territoires
La ministre des Transports, Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas, a souligné que « chaque village longant la voie modernisée ressentira l’effet d’entraînement d’un trafic régulier et sécurisé ». Le projet est annoncé comme générateur de plusieurs milliers d’emplois directs et indirects, notamment dans la maintenance, la sécurité des voies et les services de proximité. Les experts du marché de l’emploi congolais estiment que pour un poste créé au sein du Cfco modernisé, 1,8 poste supplémentaire surgit dans les activités connexes, du commerce de détail à la logistique routière. En outre, la perspective d’une fonderie de 2 milliards de dollars à Pointe-Noire promet d’accroître la valeur ajoutée locale, réduisant la dépendance aux exportations de minerais bruts et favorisant l’essor d’une métallurgie nationale.
Des défis techniques et financiers sous contrôle
La modernisation d’une infrastructure ferroviaire en zone équatoriale pose des défis spécifiques : pluviométrie élevée, instabilité géotechnique de certaines sections et nécessité d’une signalisation adaptée aux standards contemporains. Le Cfco prévoit le remplacement de 420 000 traverses, l’installation de dispositifs de télécommande des aiguillages et la mise en place d’un centre de gestion du trafic à Pointe-Noire. Sur le plan financier, la structuration, mixant fonds propres d’Ulsan, facilités bancaires internationales et incitations fiscales congolaises, a été saluée par les analystes pour sa robustesse. Les autorités insistent toutefois sur la discipline budgétaire, soucieuses d’éviter le scénario d’une dette contingente pesant sur les finances publiques.
Intégration régionale et influence géopolitique
Le renouveau du rail congolais s’inscrit dans une trame géopolitique plus large. D’un côté, il renforce les synergies avec la Zone économique spéciale de Pointe-Noire, destinée à devenir un hub industriel du Golfe de Guinée. De l’autre, il ouvre des perspectives d’interconnexion avec le réseau ferré angolais, voire avec les corridors ferroviaires envisagés en République démocratique du Congo. Plusieurs diplomates voient dans cette coopération sud-sud un signal de diversification des partenariats du Congo, tout en demeurant compatible avec les engagements multilatéraux du pays au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. L’opération conforte par ailleurs la diplomatie économique congolaise, qui fait de l’infrastructure un vecteur d’attractivité pour les investisseurs.
Vers une ère de transport durable et compétitif
Si le chantier tient ses délais – trente-six mois pour la première phase –, le coût du transport du minerai entre Mayoko et Pointe-Noire pourrait être divisé par deux, selon les calculs du Cfco. Cette réduction améliorerait la compétitivité des exportations nationales et contribuerait à la décarbonation du transport de marchandises, le rail émettant trois fois moins de CO₂ par tonne-kilomètre que la route. Enfin, la symbolique est forte : relancer la « voie ex-Comilog » revient à redonner sens à une infrastructure héritée de l’histoire coloniale, mais désormais adaptée aux ambitions industrielles du XXIᵉ siècle du Congo.