Un corridor stratégique au cœur de la diversification
En paraphant une convention de plus de 737 millions d’euros, le Chemin de fer Congo-Océan et Ulsan Mining Congo ont enclenché une phase décisive de la politique de diversification prônée à Brazzaville. Le tronçon Mayoko-Pointe-Noire, hérité de l’ancienne ligne dite « Ex-Comilog », supportait déjà des flux mixtes de voyageurs et de fret. Sa réhabilitation intégrale, assortie d’une signalisation numérisée et d’une remise à niveau des ponts métalliques édifiés dans les années 1970, devrait porter la capacité de transport à près de dix millions de tonnes par an, contre moins de deux actuellement. L’enjeu dépasse la simple question minière : il s’agit de doter la façade atlantique du Congo d’un corridor fiable, capable d’irriguer l’arrière-pays et d’alimenter la Zone économique spéciale de Pointe-Noire.
Le partenariat congolais-turc, catalyseur d’industrialisation
Le choix d’un groupe turc n’est pas anodin. Depuis la visite officielle du président Denis Sassou Nguesso à Ankara en 2022, la diplomatie économique congolaise mise sur des alliances non traditionnelles afin de capter des technologies intermédiaires et des financements compétitifs. Ulsan Mining s’engage à livrer une vingtaine de locomotives et plus de trois cents wagons, assortis d’un transfert progressif de maintenance lourde au personnel congolais. À l’horizon 2028, l’implantation d’une fonderie à Pointe-Noire – investissement envisagé à deux milliards de dollars – scellera la montée en gamme locale, substituant des produits semi-finis métallurgiques aux exportations de minerai brut. Pour Brazzaville, le pari est clair : consolider une chaîne de valeur intégrée, du gisement à l’atelier, afin de réduire la dépendance aux cours internationaux du fer.
Effets socio-économiques attendus le long de l’axe ferroviaire
Selon les estimations conjointes du ministère des Transports et de l’Observatoire congolais de la planification, près de 6 000 emplois directs devraient naître du seul chantier ferroviaire, auxquels s’ajouteront les activités induites dans l’hôtellerie, la restauration ou les services de maintenance. Dans les localités de Banda, Makabana ou Mossendjo, les acteurs municipaux espèrent une renaissance commerciale grâce au désenclavement durable. L’État, pour sa part, table sur une hausse de 0,8 point de PIB dès la troisième année d’exploitation et sur une augmentation sensible des recettes fiscales, les contrats de performance intégrant des clauses de retour à l’économie nationale. Les autorités veillent néanmoins à encadrer l’impact environnemental : le plan de gestion combine reboisement des emprises, limitation des prélèvements d’eau douce et contrôle strict des effluents industriels.
Vers une souveraineté minière accrue et durable
La mine de Mayoko-Moussondji recèle des réserves estimées à plus de 500 millions de tonnes de fer à haute teneur. En transformant une part significative de cette ressource sur place, le Congo affine sa souveraineté minière tout en répondant aux normes ESG de plus en plus exigeantes des marchés européens et asiatiques. La future fonderie, alimentée par un mix énergétique hydrau-gazier, devrait émettre 30 % de CO₂ en moins qu’une installation classique. Cette avancée pourrait positionner Pointe-Noire comme plate-forme de production d’aciers verts, susceptible de séduire l’industrie automobile marocaine ou les chantiers navals de la sous-région.
Enjeux diplomatiques et perspectives régionales
Au-delà de sa dimension économique, l’accord conforte la place du Congo dans l’architecture ferroviaire d’Afrique centrale. Les discussions engagées avec le Gabon pour une interconnexion Owendo-Mayoko, ainsi qu’avec la République démocratique du Congo autour du pont route-rail de la rivière Chiloango, laissent entrevoir un futur réseau transfrontalier harmonisé, propice à la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine. Les chancelleries occidentales, attentives à la résilience logistique des corridors miniers, saluent une initiative qui pourrait soulager des ports saturés du Golfe de Guinée. Surtout, le projet illustre la capacité de Brazzaville à agréger partenaires historiques et émergents, dans un esprit de multilatéralisme pragmatique prôné par le chef de l’État. Le rail, naguère symbole d’une économie extrac-tive, devient ainsi vecteur d’intégration et de souveraineté partagée.