Sécurité consolidée, indicateurs de fréquentation en berne
Une décennie après l’attentat du 24 décembre 2007 qui avait brutalement fermé les portes du pays aux circuits sahariens, la Mauritanie présente un bilan sécuritaire quasi exemplaire dans le contexte sahélien. Coordonnant des opérations conjointes avec ses voisins et s’appuyant sur un appareil sécuritaire réformé, Nouakchott a réussi à contenir durablement les groupes armés qui sévissent encore au Mali, au Burkina Faso ou au Niger. Les observateurs militaires évoquent un « cas d’école » où la prévention, le renseignement communautaire et la coopération internationale ont endigué la menace. Pourtant, moins d’un millier de visiteurs annuels, selon les estimations officieuses croisées, foulent aujourd’hui le tarmac d’Atar, très loin des plus de 12 000 amateurs de dunes enregistrés en 2006-2007.
L’héritage des alertes occidentales pèse toujours
Au ministère mauritanien du Tourisme, les cartes rouges publiées par plusieurs chancelleries européennes sont scrutées avec une exaspération contenue. Bien que les incidents terroristes soient devenus rarissimes sur l’ensemble du territoire, les avis aux voyageurs maintiennent des zones entières en niveau d’alerte élevé, nourrissant la perception d’un danger diffus. Dans un entretien accordé à la presse locale, le vétéran du secteur Maurice Freund rappelle que « tant que les tour-opérateurs doivent se battre contre les consignes de prudence de leurs propres gouvernements, la reprise restera marginale ». Cette dissonance entre réalité sécuritaire et communication officielle ralentit la reconquête des marchés français, allemand ou néerlandais, historiquement moteurs pour l’Adrar.
Chaînon manquant : le professionnalisme des intermédiaires
À l’obstacle psychologique s’ajoute une faiblesse plus endogène : l’inégale qualité des opérateurs locaux. Plusieurs diplomates en poste à Nouakchott déplorent des « écarts de standards surprenants » entre agences pourtant agréées. Récemment, un voyageur étranger, facturé 200 euros par jour, a découvert que son hébergement revenait en réalité à une quinzaine d’euros la nuitée et qu’aucune réservation préalable n’avait été effectuée. L’épisode rocambolesque où un guide argua de l’interdiction de montrer le fleuve Sénégal, visible à quelques minutes du centre de Rosso, illustre les carences en formation et en éthique commerciales. Ahmed Ould Cheikh, directeur du journal Le Calame, résume avec pragmatisme : « Sans relais fiables, la destination se condamne à l’anecdote quand elle devrait incarner la référence saharienne ».
Le problème n’est pas l’absence d’initiatives privées, mais leur dispersion. Faute de chartes de qualité appliquées avec rigueur et de contrôles réguliers, les investissements réalisés pour moderniser les pistes ou réhabiliter les maisons d’hôtes restent invisibles pour le visiteur victime d’un maillon défectueux. Un cadre du ministère du Tourisme reconnaît qu’une certification « Haute Dune Qualité » est en discussion, inspirée des standards marocains, afin d’harmoniser les prestations et d’écarter les acteurs opportunistes.
Potentiel inaltéré d’un Sahara lettré
Au-delà des mésaventures isolées, l’attrait patrimonial demeure intact. Chinguetti, cité caravanière du XIIIᵉ siècle, garde sa place sur la liste de l’UNESCO pour la richesse de ses manuscrits coraniques. Dans l’erg de l’Adrar, les cordons de dunes offrent aux randonneurs un spectacle minéral que peu de déserts concurrencent. Le long du littoral atlantique, les bancs d’Arguin se classent parmi les plus vastes réserves d’oiseaux migrateurs du continent. Autant d’atouts que les professionnels mettent en avant lors des salons internationaux, chiffres de sécurité à l’appui, pour convaincre des voyageurs lassés des itinéraires saturés du Machrek ou du Maghreb.
Cap 2030 : un objectif ambitieux de cent mille visiteurs
Nouakchott a fixé la barre à 100 000 touristes annuels à l’horizon 2030. Pour y parvenir, le gouvernement table sur une stratégie en trois volets : diplomatie sanitaire et sécuritaire destinée à assouplir les conseils aux voyageurs, programmes de formation accélérée pour les guides et incitations fiscales en faveur d’investissements hôteliers de taille moyenne. Un protocole d’accord signé avec la Banque africaine de développement prévoit par ailleurs de consolider la desserte aérienne d’Atar et de Nouadhibou. Ces signaux positifs, couplés au retour épisodique de vols charters européens, laissent entrevoir une dynamique plus soutenue dès 2025, sous réserve que le discours de confiance soit relayé par des expériences terrain irréprochables.
Vers une diplomatie du désert plus inclusive
En définitive, la Mauritanie dispose des ingrédients clés pour redevenir un pôle d’attraction saharien. La consolidation sécuritaire sert de socle, la richesse culturelle de catalyseur, et la volonté politique façonne le cadre incitatif. Le point de bascule dépend désormais de la crédibilité des intermédiaires privés et de la levée graduelle des restrictions occidentales. Comme le confie un conseiller touristique auprès de la présidence, « l’enjeu est de transformer la stabilité en valeur perçue, puis en réservations fermes ». Si ce pari est tenu, l’image du « pays sans terrorisme mais sans touristes » appartiendra bientôt au passé, laissant place à un récit où le Sahara mauritanien devient un laboratoire de renaissance économique et culturelle.