Port-Louis, carrefour stratégique pour Brazzaville
Sous le soleil hivernal de l’océan Indien, la délégation congolaise conduite par l’ancien ministre Alain Akouala Atipault a foulé, du 23 au 29 juillet 2025, les quais de Port-Louis avec une idée simple : convertir l’effervescence observée lors de la troisième Foire des entreprises du Congo (FEC) en alliances concrètes. Cette immersion mauricienne traduit la volonté affichée par Brazzaville de consolider ses partenariats Sud-Sud et de diversifier son économie dans des conditions macroéconomiques rendues plus délicates par la volatilité du marché pétrolier.
Le choix de l’Île Maurice n’est pas anodin. Classée parmi les juridictions les plus stables du continent, la république insulaire figure régulièrement dans le trio de tête des indices de gouvernance et d’attractivité des investissements. Pour nombre de décideurs congolais, elle incarne un laboratoire africain de bonnes pratiques qui, adapté avec discernement, pourrait soutenir la trajectoire de modernisation arrêtée par le Plan national de développement 2022-2026.
De la FEC au Mécanisme d’évaluation par les pairs
La Foire des entreprises du Congo, organisée à Brazzaville en mai 2025, a mis en lumière le dynamisme d’une génération d’entrepreneurs portés par le numérique et l’agrobusiness. En qualité de président de la Commission nationale du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), Alain Akouala Atipault a voulu capitaliser sur cet élan pour enraciner l’esprit de compétitivité et de redevabilité dans le tissu productif national. « La diplomatie économique n’a de sens que si elle débouche sur des gains mesurables pour nos PME », confie-t-il, rappelant qu’il avait déjà accompagné la visite d’État du président Denis Sassou-Nguesso à Port-Louis en 2011.
Le dialogue noué avec Sachin Mohabeer, directeur général adjoint de l’Economic Development Board, a ainsi porté sur la manière d’adosser la méthodologie du MAEP aux mécanismes d’accompagnement mauriciens : clusters sectoriels, incitations fiscales ciblées et plateformes de veille concurrentielle. Cette conjonction entre auto-évaluation et recherche de performance répond à la philosophie de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, que Brazzaville cite régulièrement comme boussole stratégique.
Agro-industrie, finance et économie bleue au cœur des tractations
Au-delà des déclarations de principe, la mission a balisé plusieurs pistes de coopération. L’agro-industrie, priorité absolue pour réduire la facture des importations alimentaires congolaises, pourrait bénéficier du savoir-faire mauricien dans la transformation de la canne à sucre et des produits horticoles. Les services financiers, fer de lance de la croissance mauricienne, intéressent également Brazzaville, désireux de positionner la zone économique spéciale de Pointe-Noire comme plateforme régionale de services bancaires et de fintech.
Le troisième axe, plus prospectif, concerne l’économie bleue. Port-Louis a développé des chaînes de valeur maritimes intégrées – réparation navale, aquaculture, gestion portuaire – que le Congo souhaite étudier pour optimiser le potentiel du port en eaux profondes de Banana et pour structurer la filière pêche artisanale côtière. « La complémentarité est évidente : nous avons la façade atlantique, Maurice maîtrise les process », résume un cadre du ministère congolais du Développement industriel.
Incubation et transfert de savoir-faire : le pari de la jeunesse
Symbole d’une nouvelle diplomatie économique, la visite de l’incubateur « La Turbine » a illustré la place accordée à l’innovation. Une start-up congolaise, spécialisée dans les capteurs de gestion hydrique, y bénéficie déjà d’un programme d’accélération. Selon Diane Maigrot, directrice générale de l’incubateur, « l’ADN multiculturel de Maurice facilite le mentorat panafricain ». Pour les entrepreneurs congolais, l’enjeu est d’accéder à un écosystème où ingénieurs, capital-risqueurs et régulateurs dialoguent de façon fluide.
La délégation a également rencontré le secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie mauricienne, Drishtysingh Ramdenee, qui a donné son accord de principe pour la création de co-entreprises. Ces structures paritaires devraient accélérer le transfert technologique tout en partageant le risque financier, un paramètre crucial pour les jeunes pousses congolaises souvent confrontées à des taux bancaires élevés sur le marché domestique.
Vers un agenda commun dans la Zone de libre-échange continentale
À l’horizon 2030, l’entrée en régime de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) multipliera les débouchés pour les entreprises congolaises, à condition qu’elles se conforment aux standards de compétitivité et de traçabilité. Les discussions menées au ministère mauricien des Affaires étrangères avec l’ambassadeur Rajkumar Sookun ont, à cet égard, insisté sur la nécessité d’une mise à niveau réglementaire concertée. Maurice offre un précédent en matière de respect des normes de l’Organisation mondiale du commerce, tandis que le Congo dispose d’un potentiel logistique régional sous-exploité.
En jouant le rôle de facilitateur, la mission conduite par Alain Akouala Atipault ne se limite donc pas à une opération de communication. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large d’intégration économique africaine, alignée sur la vision du chef de l’État congolais qui, depuis plusieurs années, plaide pour une diplomatie résolument tournée vers les solutions pragmatiques. Les protocoles d’accords attendus dans les prochains mois diront si l’élan se transforme en partenariats tangibles, mais les signaux envoyés depuis Port-Louis augurent déjà d’un rapprochement où chacun entend trouver son intérêt.