Une tournée africaine à forte densité diplomatique
Depuis Maputo jusqu’à Gaborone, Jean-Claude Gakosso orchestre, au nom de Brazzaville, l’une des campagnes de soutien les plus structurées qu’ait connues l’Afrique australe ces dernières années. Reçu le 23 juillet par les autorités mozambicaines puis, le lendemain, par celles du Botswana, le chef de la diplomatie congolaise déroule un argumentaire singulier : faire émerger un dirigeant africain chevronné à la tête de l’UNESCO, institution clef du système multilatéral onusien. « Nous ne plaidons pas pour une candidature de circonstance, mais pour un projet de civilisation », confie un membre de la délégation, soulignant l’enjeu symbolique d’une voix africaine pilotant la gouvernance mondiale de l’éducation, des sciences et de la culture.
Firmin Édouard Matoko, l’atout d’un profil multilatéral
Né à Brazzaville et formé entre Dakar et Paris, Firmin Édouard Matoko appartient à cette génération d’internationaux africains qui ont fait carrière au sein des organisations onusiennes. Sous-directeur général pour la priorité Afrique depuis 2018, il a bâti sa réputation sur la promotion systématique du dialogue scientifique entre le Nord et le Sud. Ses proches rappellent qu’il fut l’un des artisans du retour du Mali sur la scène culturelle après la crise de Tombouctou ou encore le défenseur du concept d’« économie créative africaine » lors du Forum mondial de la culture à Bali. Son projet ? « Une UNESCO qui parle avec l’Afrique et pas seulement de l’Afrique », résume-t-il lors d’un entretien accordé à la presse locale à Gaborone. Pour les capitales du continent, cette nuance résonne comme une promesse d’inclusion et de co-construction.
L’instant UNESCO : fenêtre d’opportunité pour l’Afrique
La succession à la direction générale de l’UNESCO, prévue en novembre 2025, intervient dans un contexte de rééquilibrage géopolitique marqué par l’adhésion de nouveaux États membres africains aux conseils exécutifs des agences onusiennes. Avec 17 % des voix à la Conférence générale, le groupe Afrique peut, s’il demeure soudé, influer décisivement sur le scrutin. Gakosso mise sur cette arithmétique pour convaincre ses homologues : « Un vote pour Matoko, c’est un vote pour un multilatéralisme régénéré à partir du continent », déclare-t-il, citant les succès de l’Union africaine dans les négociations climatiques récentes.
Souvenirs partagés et symbolique des luttes d’indépendance
A Maputo, la délégation congolaise s’est recueillie devant le mausolée de Samora Machel, figure de l’émancipation lusophone. Ce moment, loin d’être purement protocolaire, rappelle l’ADN historique de l’UNESCO, dont le chantier de l’Histoire générale de l’Afrique demeure une référence. Matoko, qui en supervise le volet éditorial, voit dans cet hommage « une passerelle entre mémoire et futur ». A Gaborone, il a également évoqué les échanges intellectuels entre l’Université d’Harare et l’École normale supérieure de Brazzaville dans les années 1980, soulignant l’ancienneté des solidarités régionales que la campagne actuelle tente de réactiver.
L’océan Indien comme sas vers un appui continental
Brazzaville a choisi l’île Maurice comme prochaine étape stratégique. Dans l’archipel, le multilinguisme et la mixité culturelle forment un laboratoire vivant des valeurs que défend l’UNESCO. Le relais sera ensuite transmis au Premier ministre Anatole Collinet Makosso, attendu à Libreville, Abidjan, Abuja, Ouagadougou, Monrovia et Djibouti. Derrière ce calendrier serré se dessine un maillage diplomatique où chaque capitale constitue un nœud décisif d’influence. Aux yeux des observateurs, la démarche congolase se distingue par son caractère transpartisan : elle associe ministères sectoriels, sociétés savantes et cercles d’affaires, démontrant la maturation d’un soft power fondé sur la circulation des élites académiques autant que sur la conviction politique.
Gains attendus pour Brazzaville et pour le multilatéralisme africain
Si l’élection aboutit, le Congo inscrira son empreinte sur la gestion d’une agence comptant près de 2 000 projets actifs, tout en consolidant son statut de plateforme diplomatique. Pour Denis Sassou Nguesso, qui suit personnellement le dossier, l’enjeu dépasse la simple visibilité : il s’agit d’asseoir la capacité africaine à définir des normes internationales, qu’il s’agisse de protection du patrimoine ou de gouvernance des données scientifiques. En parallèle, l’Union africaine verrait ses aspirations à un siège permanent au Conseil de sécurité soutenues par la démonstration d’une compétence africaine avérée à l’UNESCO. Dans cet esprit, Gakosso conclut régulièrement ses entretiens par la même formule : « Le continent ne quémande plus, il propose. » Une maxime que nombre de chancelleries, de Pretoria à Addis-Abeba, commencent à prendre au sérieux.