Héritage bantou et vocation universelle
La disparition de Martial Sinda, survenue dans la nuit du 16 au 17 juillet à son domicile parisien, referme un chapitre essentiel de la vie littéraire congolaise mais ouvre, paradoxalement, de nouveaux espaces pour la réflexion diplomatique. Né en 1935 à M’bamou-Sinda, non loin de Kinkala, l’enfant du Pool s’est forgé, dès l’adolescence, une conscience aiguë des dynamiques identitaires qui traversaient l’Afrique équatoriale française. Cette conscience, portée par l’enseignement de son père, chef matsouaniste, l’amènera à conjuguer l’ethos bantou avec un horizon résolument universaliste. Ainsi, dès ses premiers textes, l’auteur se fait médiateur entre terroir et monde, créant une porosité féconde qui résonne aujourd’hui dans les stratégies de rayonnement culturel du Congo-Brazzaville.
Un parcours académique qui anticipe les indépendances
Scolarisé dans une école jusque-là réservée aux Européens, aux côtés d’un certain André Milongo, le jeune Sinda comprend vite que le savoir est un passeport diplomatique plus qu’un simple capital symbolique. En 1948, il rejoint la France pour poursuivre ses études au collège de La Châtre. « Il n’était pas seulement élève, il était déjà ambassadeur de toute une génération », se souvient un condisciple rencontré des décennies plus tard. Les cercles politiques de la Quatrième République, fascinés par la fulgurance de ses analyses, perçoivent son potentiel avant même que les indépendances ne transforment la carte du continent. Cette précocité, loin d’être un accident biographique, révèle un sens stratégique de l’anticipation qui inspirera plus tard nombre de cadres congolais.
Premier Chant du départ : poétique de la dignité
Publié en 1955 chez Seghers, « Premier chant du départ » offre une archive vibrante de la résistance intellectuelle. Le recueil, célébré par Léopold Sédar Senghor, chante la dignité nègre, mais évite le piège d’un essentialisme rigide en appelant à la rencontre des humanismes. Le Grand Prix Littéraire de l’AEF, décerné à Sinda en 1956, confirme que la poésie pouvait, déjà, servir de passerelle diplomatique avant même l’invention de la « soft power ». Cette reconnaissance, loin de l’enfermer dans une posture militante, légitime un engagement sans violence, où la parole poétique remplace l’anathème. Pour de nombreux analystes, cette option pacifique a offert au Congo-Brazzaville une ressource symbolique précieuse dans ses dialogues internationaux.
Connexions intellectuelles et ecclésiales à Paris
Les années parisiennes de Martial Sinda l’immergent dans l’effervescence de Présence Africaine, à la croisée des existentialismes et des luttes anticoloniales. Il fréquente Jean-Félix Tchicaya, René Maran ou Richard Wright, autant de noms qui témoignent d’un cosmopolitisme assumé. L’audience privée accordée par Pie XII en 1956 ancre sa quête dans une dimension spirituelle. « Il maniait la plume comme on tend une olive », confie, non sans admiration, un prélat congolais en poste à Rome. Cette diplomatie du verbe trouve un écho dans les orientations culturelles actuelles du Congo, qui mise sur un dialogue interreligieux harmonieux pour renforcer sa cohésion. L’itinéraire de Sinda illustre ainsi la continuité d’un soft power religieux et littéraire qui, aujourd’hui encore, contribue à la stabilité nationale.
Enseigner l’histoire pour forger le futur congolais
Devenu professeur honoraire en histoire contemporaine à la Sorbonne, Martial Sinda ne s’est jamais départi d’un regard tourné vers Brazzaville. Chaque année, dans ses séminaires, il interrogeait la trajectoire post-coloniale congolaise sous l’angle de la mémoire partagée. « Écrire, c’est conjurer l’amnésie qui menace les peuples émergents », répétait-il souvent à ses étudiants. Son investissement dans le colloque consacré à Mfumu Kimbangu, couronné par un doctorat honoris causa de l’Université Simon Kimbangu en 2011, confirme la permanence de son engagement. En valorisant les spiritualités endogènes, il s’inscrivait dans la droite ligne des politiques patrimoniales impulsées par les autorités congolaises, soucieuses de consolider le vivre-ensemble.
Une postérité qui interpelle les élites actuelles
À l’heure où le Congo-Brazzaville intensifie ses échanges culturels avec l’Afrique centrale et le reste du monde, la figure de Martial Sinda apparaît comme un vecteur privilégié de diplomatie culturelle. Le ministre congolais des Affaires étrangères a salué, dans un message officiel, « la disparition d’un homme dont les vers sont autant de ponts jetés entre les nations ». Les commémorations envisagées à Brazzaville et à Kinkala témoignent d’une volonté de faire de son œuvre un outil didactique, tant pour la jeunesse que pour le corps diplomatique. Au-delà de l’émotion légitime, la postérité de Sinda rappelle que la culture, loin d’être décorative, participe de la stabilité institutionnelle et du rayonnement international. Sa voix, désormais silencieuse, demeure un instrument de concertation au service d’un Congo confiant dans son avenir.