Une délégation saoudienne à Rabat confirme un agenda offensif
Sous la houlette de Hassan bin Mujeb Al-Huwaizi, président de la Fédération des chambres saoudiennes, plus de vingt-cinq entreprises du royaume wahhabite ont pris leurs quartiers à Rabat. L’objectif affiché consiste à sonder le terreau marocain, perçu par Riyad comme une plate-forme africaine de premier plan, à la faveur d’un climat politique stable et de performances macroéconomiques jugées résilientes. À l’issue d’un entretien avec le ministre marocain de l’Industrie et du Commerce Riad Mezzour, les deux parties ont salué « l’excellence » d’un partenariat historiquement ancré mais encore loin de son potentiel maximal.
Convergence macroéconomique et feuille de route bilatérale
À la faveur de la Zone arabe de libre-échange, les échanges bilatéraux ont progressé pour atteindre 26,4 milliards de dirhams en 2024, contre 24,6 milliards un an plus tôt, selon les services douaniers marocains. Cette trajectoire ascendante bénéficie d’un alignement stratégique : Rabat recherche des flux extérieurs pour diversifier son appareil productif, tandis que Riyad, engagé dans le programme Vision 2030, veut internationaliser son capital privé afin de sécuriser des relais hors hydrocarbures. Les officiels ont convenu de relever « substantiellement » la barre commerciale et de multiplier les échanges d’expertise, notamment dans les procédures de certification et de facilitation douanière.
L’argumentaire marocain : hub continental et transition verte
Le ministre Riad Mezzour a mis en avant la mutation profonde que connaît le Royaume : politiques d’industrialisation orientées export, corridors logistiques connectant Tanger Med à l’Afrique de l’Ouest et stratégie énergétique fondée sur le solaire, l’éolien et l’hydrogène vert. Selon lui, « chaque dirham investi au Maroc ouvre trois marchés : européen, africain et atlantique », un triptyque que la partie saoudienne considère comme un démultiplicateur de rendement. Les investisseurs du Golfe ont d’ailleurs manifesté un intérêt prononcé pour le cluster des énergies renouvelables, convaincus que l’éventuelle interconnexion électrique Maroc–Royaume-Uni ferait du pays un fournisseur propre pour le Nord.
Secteurs stratégiques ciblés par Riyad et Casablanca
Au-delà de l’énergie, le spectre sectoriel balayé est large : transformation agro-alimentaire pour sécuriser la chaîne de valeur céréalière, chimie fine et plasturgie pour accompagner la montée en gamme industrielle, mécanique et électrique pour soutenir l’automobile et l’aéronautique, sans oublier le papier et le carton, en plein essor grâce à l’e-commerce maghrébin. Les représentants saoudiens évoquent aussi la perspective d’une participation aux prochains appels d’offres portuaires et ferroviaires, conscients que l’infrastructure demeure la matrice de la compétitivité marocaine.
Perspective Coupe du Monde et diplomatie économique panarabe
La concomitance des grands-messes sportives – Mondial 2030 partagé entre Maroc, Espagne et Portugal, puis Mondial 2034 promis à l’Arabie saoudite – injecte une dimension symbolique à la relation. Rabat anticipe un afflux d’investissements hôteliers et d’équipements urbains, tandis que Riyad s’inspire du modèle marocain de partenariat public-privé pour accélérer ses chantiers pharaoniques. « Le football devient un vecteur supplémentaire de soft power et de diplomatie économique », confie un diplomate arabe présent à la rencontre.
Vers une architecture commerciale multipartite durable
Au-delà du bilatéral, les deux capitales entendent dialoguer avec Bruxelles, Washington et Pékin afin de s’arrimer à des chaînes de valeur mondiales moins volatiles. La priorité est de sécuriser des normes communes – environnementales, financières, numériques – pour éviter les divergences qui freinent souvent les flux Sud-Sud. Les délégations, unanimes, ont conclu qu’une coopération triangulaire avec l’Union européenne offrirait un levier supplémentaire de financement vert, en conformité avec les nouveaux standards ESG.
En définitive, cette mission d’affaires symbolise une maturation de la relation maroco-saoudienne : d’un partenariat essentiellement financier, elle glisse vers une coproduction industrielle où chacun cherche à consolider sa souveraineté économique tout en misant sur l’interdépendance. Un échange dont la portée dépasse les seules statistiques du commerce pour s’inscrire dans la cartographie renouvelée des alliances au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.