Violence synchronisée : la tactique des frappes multiples
Au lever du jour, le 1ᵉʳ juillet, sept localités de l’ouest malien – de la stratégique Kayes jusqu’à Diboli, porte d’entrée vers le Sénégal – ont essuyé des assauts quasi simultanés. Le Jama’at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a revendiqué des actions « coordonnées et de grande qualité », faisant usage, selon l’état-major malien, de drones kamikazes pour saturer la défense antiaérienne encore balbutiante des Forces armées maliennes (FAMa). Les autorités parlent de plus de quatre-vingts assaillants « neutralisés » tandis que le groupe jihadiste affiche, dans son propre récit, la prise de trois casernes. Ce télescopage de chiffres illustre la guerre informationnelle qui se joue autant que les combats de terrain.
Résilience des FAMa et évolution des partenariats sécuritaires
Face à ces frappes éclairs, le colonel Souleymane Dembélé, porte-parole de l’armée, a salué la « discipline opérationnelle » des unités, tout en exhibant des images d’armements et de véhicules récupérés aux jihadistes. Dans l’ombre de cette communication, Africa Corps – nouvelle désignation de la coopération militaire russe – diffuse, via les réseaux sociaux, des clichés d’assaillants neutralisés, cherchant à consolider l’idée d’un tandem russo-malien déterminant pour la tenue des lignes. Bien que controversée sur la scène onusienne, cette synergie répond à l’impératif pressant d’une armée en reconstruction depuis la crise de 2012.
Bamako évoque parallèlement le « sponsoring étatique » de ces attaques, sans désigner d’acteur précis. Ce choix lexical maintient l’option diplomatique ouverte tout en envoyant un signal de fermeté. Il réactive, en creux, le débat sur la résilience institutionnelle des pays du Sahel, ballotés entre désengagement progressif des missions occidentales et diversification de nouveaux appuis.
Frontières poreuses : répercussions de l’ouest malien au littoral atlantique
La géographie commande la stratégie. Entre Kidira côté sénégalais, Gogui à la lisière mauritanienne et Niono sur l’axe menant vers la cité rizicole de Ségou, les assauts de juillet mettent en lumière la plasticité des groupes armés, capables de projeter la violence des plaines du Macina à la bande soudano-sahélienne. Le général américain Michael Langley rappelait en mai, depuis Stuttgart, que l’objet final de ces réseaux consistait à « sentir l’odeur du sel », autrement dit à percer vers l’Atlantique afin de dynamiser les flux de contrebande et d’armes. Les alertes répétées d’Africom résonnent désormais avec l’enlèvement, le même jour, de trois ingénieurs indiens employés dans une cimenterie de Kayes : preuve que le vivier jihadiste s’attaque simultanément aux symboles de l’État, aux intérêts étrangers et aux nœuds logistiques régionaux.
Dans cette dynamique, la République du Congo, rivée à son corridor fluvial et à ses ambitions de hub sous-régional, observe avec vigilance l’évolution de la cartographie des risques. Brazzaville, qui déploie déjà un contingent dans la force onusienne en Centrafrique, poursuit une stratégie de prévention ascendante, misant sur le renseignement partagé et la diplomatie sécuritaire pour éviter toute contagion vers le bassin du Congo.
Diplomatie préventive et concertation du Golfe de Guinée
Les chancelleries de la CEDEAO et du G5 Sahel, bien que fragilisées par la succession de coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, multiplient les réunions techniques avec les États côtiers. L’un des fils directeurs consiste à densifier la présence conjointe de forces spéciales autour des axes Bamako-Abidjan et Bamako-Accra. Abuja et Lomé, villes hôtes de récentes conférences ministérielles, pressent pour l’activation d’une force multinationale de fusiliers marins sur le fleuve Sénégal afin de compliquer la logistique jihadiste vers l’océan.
Denis Sassou Nguesso, doyen politique de la sous-région, plaide, dans ses interventions, pour « une réponse holistique, plus proche des populations, moins verticale ». Cette posture met en relief l’expérience congolaise de médiations discrètes, à l’image des facilités offertes aux pourparlers inter-centrafricains. De l’avis de plusieurs diplomates occidentaux en poste à Brazzaville, cette constance confère à la République du Congo un soft power feutré, salué pour sa capacité à fédérer des acteurs parfois antagonistes.
Vers un nouveau paradigme sécuritaire sahélien
Trois enseignements se dégagent des attaques de juillet. D’abord, la faculté d’adaptation technologique des groupes affiliés à Al-Qaïda, désormais dotés de vecteurs aériens rudimentaires mais désorientants, exige une montée en gamme urgente des défenses antidrone. Ensuite, la circulation régionale du personnel combattant impose de coupler action militaire et négociations communautaires, notamment dans le delta intérieur du Niger où les liens familiaux transcendent les frontières administratives. Enfin, la pression internationale pour un retour des civils au pouvoir à Bamako ne saurait occulter la nécessité d’outils institutionnels robustes, capables de survivre aux alternances politiques.
À l’heure où les armées nationales s’évertuent à regagner la confiance des populations rurales, l’encadrement strict des opérations et la lutte contre toute forme d’exaction apparaissent comme une condition sine qua non de la victoire stratégique. Les partenaires extérieurs, du Golfe de Guinée à la Fédération de Russie, seront évalués à l’aune de leur capacité à conjuguer assistance technique et respect des droits fondamentaux. La diplomatie congolaise, forte d’une tradition de neutralité active, pourrait trouver là un terrain d’expression privilégié, articulant sécurité collective et gouvernance inclusive, au bénéfice d’une stabilité durable du Sahel et, par ricochet, de l’Afrique centrale.