Chronologie d’un virage institutionnel inédit
Dans un hémicycle clairsemé mais unanimement acquis à sa cause, le Conseil national de transition (CNT) a adopté, avec 131 voix favorables sur 131 votants, une Charte révisée consacrant un cycle présidentiel de cinq ans pour le général Assimi Goïta, renouvelable « autant de fois que nécessaire ». Le texte, transmis pour promulgation au chef de l’État de facto, boucle un itinéraire commencé par les doubles coups d’État de 2020 et 2021, puis affermi par une série de consultations nationales que la majorité des partis politiques ont cependant boycottées.
Au départ, la junte s’était engagée à restituer le pouvoir à des civils élus avant mars 2024. Cette échéance, plusieurs fois repoussée, s’est finalement dissoute dans la proclamation d’une transition à durée indéterminée, conditionnée à la « pacification complète » du territoire. Les responsables du CNT défendent un « réalisme chronologique » face à l’enlisement sécuritaire. « C’est une étape décisive dans la refondation du Mali », s’est félicité son président Malick Diaw, évoquant une demande populaire de stabilité.
La justification sécuritaire brandie par Bamako
Le fil conducteur du discours officiel demeure l’urgence sécuritaire. Depuis 2012, le Mali affronte des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique, tandis que des entités criminelles locales prospèrent sur la porosité des frontières. Pour Bamako, prolonger la transition apparaît comme un impératif militaire : « On ne change pas de capitaine en pleine tempête », glisse un conseiller proche du palais de Koulouba. Dans cette logique, la liberté d’action du commandement ne saurait être entravée par le calendrier électoral.
Cette argumentation s’inscrit dans un remodelage de la coopération sécuritaire. Le retrait progressif des contingents français de l’opération Barkhane et la fin de la mission de l’ONU (MINUSMA) ont laissé place à un partenariat renforcé avec la Fédération de Russie et à l’arrivée de paramilitaires regroupés sous la bannière Africa Corps. Officiellement, ces forces supplétives se concentrent sur la traque des groupes djihadistes. Officieusement, plusieurs organisations de défense des droits humains leur attribuent des exactions contre des civils, accusations systématiquement rejetées par les autorités.
Réactions mesurées des partenaires régionaux et internationaux
Les chancelleries ouest-africaines affichent une prudence calculée. Au sein de la CEDEAO, la suspension du Mali décidée en 2021 reste formellement en vigueur, mais les sanctions économiques les plus lourdes ont été levées en 2022, signe d’un pragmatisme nouveau. Plusieurs diplomates de la région confient en privé que l’organisation sous-régionale, déjà confrontée aux sorties fracassantes du Burkina Faso et du Niger, préfère éviter une escalade susceptible d’enclencher un effet domino d’isolement.
Du côté de l’Union africaine et de l’Union européenne, les déclarations soulignent l’importance d’un « calendrier électoral crédible », sans toutefois assortir cette exigence de mesures coercitives. Washington adopte la même ligne, exprimant « de profondes préoccupations » tout en maintenant une coopération sécuritaire ciblée sur le renseignement. La Chine, partenaire commercial grandissant du Mali, a salué des « progrès dans la stabilisation », illustrant l’émergence d’une diplomatie des grands travaux et des ressources qui gagne le Sahel.
Une recomposition stratégique au sein de l’Alliance des États du Sahel
La consolidation du pouvoir à Bamako se répercute sur l’Alliance des États du Sahel (AES) que le Mali forme avec le Burkina Faso et le Niger. Les trois juntes travaillent à la mise en place d’une force conjointe de 5 000 soldats et à l’harmonisation de leurs doctrines de défense. Sur le plan diplomatique, cette entité naissante se pose en contre-modèle des dispositifs d’intégration existants et nourrit l’idée d’une souveraineté sécuritaire affranchie des interventions occidentales.
Le calendrier politique des voisins suit désormais la même partition : à Ouagadougou, le capitaine Ibrahim Traoré s’est octroyé en mai dernier un délai supplémentaire de cinq ans, tandis qu’à Niamey, le général Abdourahamane Tiani a obtenu un mandat de transition équivalent. La synchronisation de ces horizons temporels renforce la cohésion du bloc, mais complique la tâche des partenaires extérieurs qui, comme l’Union européenne, peinent à définir une approche différenciée.
Perspectives de gouvernance et enjeux démocratiques
Dans les rues de Bamako, la population oscille entre lassitude et espoir prudent. Si une partie des citadins se dit soulagée par la relative décrue des attaques dans le centre du pays, beaucoup redoutent un verrouillage durable de l’espace politique. La dissolution des partis et l’interdiction des réunions publiques, annoncées en mai, réduisent les marges d’expression des contre-pouvoirs. « Il n’existe pas de démocratie sans compétition politique », rappelle un constitutionnaliste de l’Université de Ségou, inquiet d’une possible « normalisation du provisoire ».
Pour l’heure, le général Goïta capitalise sur une rhétorique de souveraineté restaurée, nourrie par la diversification des partenariats et la promotion d’un nationalisme sécuritaire. Les diplomates en poste à Bamako s’accordent à juger que la trajectoire reste réversible : le jour où les résultats militaires ne suivraient plus, la légitimité du régime pourrait s’éroder. À l’inverse, si les progrès sécuritaires se confirment, la tentation d’inscrire dans la durée un pouvoir consolidé sans urnes pourrait s’imposer comme un nouveau paradigme sahelien.
Dans cette zone charnière entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, l’évolution malienne fournira ainsi un laboratoire à ciel ouvert. Elle influencera autant les débats sur la réforme des armées nationales que les conceptions contemporaines de la souveraineté. Entre stabilité recherchée et incertitudes démocratiques, la marge de manœuvre de Bamako demeure étroite ; elle se jouera dans la capacité du pouvoir à conjuguer exigence sécuritaire, gouvernance inclusive et attentes d’une jeunesse avide d’opportunités économiques.