Une diplomatie d’influence assumée
Le 21 juillet, Jean-Claude Gakosso a foulé le tarmac de Luanda accompagné d’Édouard Firmin Matoko, porte-étendard de la candidature congolaise à la direction générale de l’Unesco. À première vue, l’exercice relève d’un ballet protocolaire familier à la diplomatie africaine ; il revêt pourtant une portée qu’il serait hasardeux de sous-estimer. Mandaté par le président Denis Sassou Nguesso, le chef de la diplomatie congolaise ne se contente pas de solliciter un soutien bilatéral ; il entend installer l’idée d’une candidature de consensus pour l’ensemble du Groupe africain. L’initiative, finement calibrée, s’inscrit dans une stratégie d’influence qui allie ambition multilatérale et renforcement de l’axe Brazzaville-Luanda, deux capitales séparées par moins de 600 kilomètres mais soudées par une géographie politique complexe.
Luanda, pivot continental
La démarche congolaise intervient à un moment où l’Angola s’affirme comme un pivot de la gouvernance continentale. Sous l’impulsion du président João Lourenço, le pays préside avec assurance les travaux préparatoires de l’Union africaine, tout en abritant des rencontres d’ampleur, à l’image du récent sommet Amérique-Afrique. Dans ce contexte, obtenir l’adhésion de Luanda revient presque à convaincre un coproducteur de premier plan. Les diplomates congolais ne l’ignorent pas : à travers l’Angola, c’est un faisceau de soutiens régionaux qui peut être mobilisé, depuis la Communauté de développement d’Afrique australe jusqu’aux capitales des Grands Lacs, souvent sensibles aux arbitrages angolais sur les dossiers de sécurité.
Édouard Firmin Matoko, un atout fédérateur
L’argumentaire avancé par Brazzaville repose sur le profil singulier d’Édouard Firmin Matoko. Ancien sous-directeur général de l’agence onusienne, l’intéressé a longuement arpenté les couloirs de la maison de la paix par l’éducation, maîtrisant ses codes et ses réseaux. Il fut, en 2019, l’un des architectes de la première Biennale de Luanda dédiée à la culture de la paix, une initiative conjointe de l’Unesco, de l’Union africaine et du gouvernement angolais. En misant sur lui, le Congo propose un candidat dont l’expertise s’adosse déjà à des succès partagés avec Luanda, un détail que la diplomatie congolaise n’a pas manqué de rappeler. Pour João Lourenço, soutenir Matoko équivaut moins à céder à la courtoisie bilatérale qu’à promouvoir un partenaire dont l’action est alignée sur la vocation de soft power angolais.
La mémoire historique, levier stratégique
Le choix du calendrier n’est pas fortuit. À l’approche du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Angola, les références à la solidarité de lutte se font plus vibrantes. Jean-Claude Gakosso, rappelant la coopération militaire instaurée dès 1975 entre Brazzaville et le Mouvement populaire de libération de l’Angola, a souligné que « les liens du sang se doublent désormais d’une communion d’intérêts stratégiques ». Dans un paysage diplomatique africain dominé par la compétition des récits, invoquer cette mémoire partagée confère à l’initiative congolaise une épaisseur symbolique qui transcende le simple marchandage de soutiens.
Un partenariat au service de la paix régionale
Le message de Denis Sassou Nguesso à son homologue angolais met également en lumière le rôle de médiateur que Luanda assume depuis plusieurs mois dans la crise à l’est de la République démocratique du Congo. Brazzaville partage la conviction qu’une stabilité durable dans cette zone charnière conditionne la réussite de tout agenda de développement. En saluant la « constance du leadership angolais », la partie congolaise s’associe à cette diplomatie de résolution des conflits, portant ainsi la candidature Matoko comme le prolongement culturel d’un engagement sécuritaire commun. Il en ressort une architecture coopérative où l’Unesco deviendrait, par ricochet, un relais pour des programmes éducatifs et patrimoniaux visant la pacification des esprits.
Vers une nouvelle matrice bilatérale
Au-delà de l’échéance élective de 2025 à l’Unesco, la mission congolaise laisse entrevoir une matrice bilatérale élargie. Des sources proches du dossier évoquent une reprise des consultations sur l’interconnexion ferroviaire Pointe-Noire-Lobito, corridor logistique susceptible d’accélérer les exportations régionales de minerais et d’hydrocarbures. Parallèlement, des accords de formation diplomatique conjointe permettraient de capitaliser sur les expertises respectives en négociation multilatérale. Autrement dit, la candidature Matoko fonctionne comme un catalyseur : elle oblige Brazzaville et Luanda à articuler une vision à long terme, de la gouvernance culturelle à la coopération économique, sans éluder la sécurité qui demeure le socle de toute ambition intégrative. Dans l’immédiat, le pari congolais consiste à transformer un geste de courtoisie en dynamique vertueuse, misant sur la confiance discrète mais tangible qui unit deux capitales conscientes de leur destin partagé au cœur de l’Afrique centrale.