Cap sur une place financière régionale
Dans les salons feutrés d’un hôtel de Kigali, en marge des assemblées annuelles de l’ATIDI, Dalvim Pipa affiche une confiance mesurée. Le directeur du Département des Études, de la Stratégie et de la Communication de la Commission des Marchés de Capitaux angolaise rappelle que l’ouverture de la Bourse de Debt and Securities d’Angola — plus couramment appelée BODIVA — aux non-résidents marque « le basculement d’un marché domestique vers une plateforme régionale capable d’absorber et de redistribuer des flux globaux ». L’assertion, loin d’une simple formule, concrétise une décennie d’ajustements macroéconomiques qui ont vu Luanda désendetter l’État, stabiliser le kwanza et harmoniser sa fiscalité financière avec les standards de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (rapport CMC 2023).
L’atout réglementaire comme sésame
Au cœur de la réforme se trouve le décret présidentiel publié au printemps, levant la clause de résidence imposée depuis la création de BODIVA en 2014. L’accès direct des étrangers aux obligations du Trésor et aux actions cotées est dorénavant encadré par un mécanisme de due diligence harmonisé avec la Norme 40 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment. « Nous avons préféré un régime de transparence ex ante plutôt qu’un contrôle de change ex post », insiste Dalvim Pipa. Le superviseur espère ainsi conjuguer fluidité d’exécution et rigueur prudentielle, deux conditions souvent perçues comme antinomiques sur les marchés émergents. L’adoption d’un identifiant unique d’investisseur, inspiré du modèle sud-africain, devrait raccourcir les cycles de règlement-livraison à T+2 dès 2025.
Technologie et transparence : la nouvelle grammaire boursière
Si l’ouverture internationale attire l’attention, c’est l’infrastructure numérique qui en garantit la pérennité. BODIVA déploie une plateforme de négociation multilingue soutenue par un centre de données à faible latence implanté à Talatona. Le recours à la technologie blockchain pour la tenue du registre central, actuellement en phase pilote avec trois banques dépositaires, doit réduire les risques opérationnels et renforcer la confiance des émetteurs. Selon un rapport interne cité par le régulateur, les frais de transaction devraient ainsi chuter de 35 % d’ici deux ans, un argument décisif pour des gestionnaires d’actifs toujours plus sensibles aux coûts.
Synergies régionales avec le Congo-Brazzaville
Au-delà des performances techniques, la profondeur du marché dépendra du maillage régional. La proximité historique et logistique entre Luanda et Brazzaville offre un terrain de coopération inexploré. Les autorités congolaises se sont déjà montrées attentives à l’expérience angolaise, notamment sur la mutualisation des chambres de compensation en devise locale. Dans les couloirs de la conférence, un haut fonctionnaire congolais confiait « observer avec intérêt un modèle exportable sans perdre notre souveraineté financière ». Pour l’Angola, élargir la base d’émetteurs aux entreprises du corridor Pointe-Noire–Cabinda constitue une diversification bienvenue, tandis que le Congo-Brazzaville pourrait profiter d’une courroie de transmission vers l’épargne mondiale sans que cela ne remette en cause la stabilité macroéconomique prônée par Brazzaville.
Un timing géopolitique mûrement calculé
La décision d’ouvrir totalement le capital-market intervient à un moment où les capitaux occidentaux cherchent de nouvelles poches de rendement face à un cycle monétaire incertain. En positionnant BODIVA comme « gateway » de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe, Luanda entend capter une partie des flux qui se détournaient jusque-là vers Johannesburg ou Nairobi. La diplomatie économique angolaise, plus active depuis la normalisation de ses relations avec les principaux bailleurs multilatéraux, fait désormais de la divulgation d’informations ESG une condition sine qua non pour tout nouveau listing. Le message est double : satisfaire les exigences des fonds climatiques et signaler à la communauté internationale la sortie définitive de la rente pétrolière.
Perspectives pour les investisseurs institutionnels
L’enthousiasme ne doit pas occulter les défis. La liquidité demeure encore modeste, et le poids des obligations souveraines représente près de 80 % de la capitalisation. Mais les récentes introductions d’Unitel et de Banco Angolano de Investimentos prouvent que le secteur privé emboîte le pas. Dalvim Pipa affirme d’ailleurs que « six dossiers sont en revue, dont un conglomérat agro-industriel à capitaux mixtes ». Pour les fonds de pension et les assurances régionales, habitués à des maturités longues, la visibilité macroéconomique retrouvée de l’Angola constitue un attrait supplémentaire. À moyen terme, la mise en œuvre du Passaporto Lusófono des services financiers pourrait faciliter la cotation croisée avec Lisbonne et Maputo, renforçant l’attractivité d’un marché que Moody’s voit déjà passer de frontière à émergent avant 2030.
Entre prudence et volontarisme
Au terme de l’entretien, le message reste nuancé. L’Angola n’ignore ni la volatilité des matières premières ni les fragilités structurelles. Mais l’ouverture graduelle de son marché financier, assortie de garde-fous réglementaires et d’un dialogue permanent avec les places voisines, notamment Brazzaville, procède d’une stratégie d’ancrage international réfléchie. À court terme, l’enjeu consiste à consolider la confiance d’investisseurs encore échaudés par les crises des années 2010. À long terme, l’objectif est d’arrimer durablement le pays à l’économie mondiale tout en participant à la densification financière du bassin du Congo. Ce pari, s’il aboutit, placerait BODIVA au rang d’illustration concrète de la convergence africaine dont les chancelleries parlent depuis vingt ans.