Londres et le précédent américain
Lorsque des élus démocrates et républicains ont déposé à la Chambre des représentants de Washington un texte visant à inscrire le Front Polisario sur la liste noire américaine (Congressional Record, 2024), Westminster a vu se rouvrir un dossier latent depuis l’après-Brexit : la redéfinition de ses priorités sécuritaires au sud de la Méditerranée. Le Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) s’emploie désormais à jauger les retombées d’une éventuelle convergence avec ses partenaires d’outre-Atlantique. L’administration Sunak, qui a soutenu publiquement le plan d’autonomie marocain pour le Sahara en 2023, dispose d’un socle diplomatique propice, mais demeure soucieuse de ne pas attiser les crispations avec Alger.
Le défi sécuritaire aux portes de l’Europe
Au-delà des considérations purement diplomatiques, les services britanniques de contre-terrorisme observent, selon plusieurs notes divulguées à la presse spécialisée, une multiplication d’indices concordants : transferts d’armes sophistiquées vers les camps de Tindouf, communication idéologique alignée sur l’« axe de la résistance » et velléités d’actions ciblant aussi bien des intérêts marocains qu’occidentaux (Telegraph, 2024). Dans un contexte où Londres renforce la protection de ses ressortissants au Sahel et où les flux migratoires à destination des côtes sud-européennes inquiètent les chancelleries, la menace ne peut plus être perçue comme exclusivement maghrébine.
L’axe Tindouf-Téhéran : une convergence déstabilisatrice
Damas, Beyrouth, Gaza, puis Tindouf : le parcours des vecteurs non conventionnels iraniens épouse une logique d’archipel militant que les spécialistes qualifient de « multipolarité asymétrique ». Les cargaisons de drones et de roquettes signalées par les agences onusiennes de contrôle des armements s’ajoutent à la circulation d’instructeurs du Hezbollah auprès des colonnes du Polisario, phénomène corroboré par plusieurs experts indépendants. Cette coopération consolide des capacités d’interdiction capables de perturber la navigation commerciale dans l’Atlantique oriental, artère vitale reliant les ports britanniques aux marchés ouest-africains, dont ceux de la République du Congo, partenaire hydrocarbure majeur de la City.
Implications pour Rabat, Alger et les partenaires africains
Une inscription du Polisario sur la liste britannique des groupes terroristes renforcerait la posture régionale de Rabat, déjà confortée par la normalisation avec Tel-Aviv et par une coopération antiterroriste reconnue. Elle contraindrait, inversement, Alger à réévaluer le coût diplomatique de son soutien historique au mouvement sahraoui, au moment où l’Union africaine cherche à revitaliser ses mécanismes de prévention des conflits. Les capitales d’Afrique centrale, à l’image de Brazzaville, suivront l’évolution du dossier avec intérêt : la stabilité du couloir logistique Pointe-Noire–Tanger, essentiel au commerce intra-africain, dépend étroitement de la sécurité maghrébine.
Options britanniques entre droit et diplomatie préventive
Dans la tradition britannique, la qualification d’un acteur non étatique comme terroriste repose sur un faisceau de critères juridiques exigeants, parmi lesquels l’intention avérée de porter atteinte à des civils et la capacité opérationnelle de concrétiser cette intention. Les récentes déclarations du secrétaire d’État à la Sécurité, Tom Tugendhat, soulignent que « chaque désignation doit être à la fois proportionnée et étayée par des preuves irréfutables ». Toutefois, la pression parlementaire transpartisane s’intensifie, arguant qu’un alignement sur Washington préserverait la cohérence du partenariat de renseignement dit Five Eyes.
Vers une décision stratégique attendue
À l’approche des élections générales anticipées, Downing Street sait qu’un signal fort contre les réseaux paramilitaires adossés à Téhéran pourrait galvaniser une opinion publique sensible aux enjeux de lutte contre le terrorisme. Mais il s’agit également de ménager les négociations commerciales esquissées avec les économies maghrébines, prometteuses pour l’après-Brexit. En définitive, l’équation britannique se résume à un arbitrage classique entre risque sécuritaire et avantage économique : différer la désignation pourrait exposer le Royaume-Uni à un accroissement du péril terroriste, tandis qu’une inscription rapide du Polisario sur la liste noire pourrait redessiner les équilibres régionaux au bénéfice de partenaires clefs, notamment le Maroc et, indirectement, ceux qui misent sur la sécurité des routes atlantiques, tels que la République du Congo.