Un pari ferroviaire aux ramifications géopolitiques
Sous les lambris feutrés du 17ᵉ Sommet des affaires USA-Afrique, la promesse réitérée par Washington d’injecter cinq milliards de dollars dans le corridor de Lobito a aussitôt résonné comme le signal d’un tournant stratégique. L’ouvrage, long de plus de 1 300 kilomètres entre l’Atlantique angolais et la Copperbelt zambienne, vise non seulement à fluidifier l’exportation des minerais critiques de la RDC mais aussi à offrir aux producteurs d’Afrique centrale un accès maritime alternatif à celui, saturé, de Durban.
Le directeur du Bureau des affaires africaines, Troy Fitrell, l’a concédé avec une franchise inhabituelle : « Il s’agit d’aller aussi loin que possible ». Autrement dit, de supplanter les corridors orientés vers l’océan Indien mis en musique par Pékin depuis une décennie (Department of State, 2024).
De la diplomatie des infrastructures au retour du rail
À l’heure où la politique étrangère américaine est souvent perçue comme dominée par la sécurité et le numérique, le choix du rail renoue avec une tradition d’assistance technique chère au programme Power Africa. Le corridor de Lobito est la première infrastructure transfrontalière que Washington inscrit sous l’égide du Partenariat pour les infrastructures mondiales et l’investissement (PGII), lancé au G7 en 2022 pour rivaliser avec les Nouvelles routes de la soie chinoises.
Cette diplomatie des infrastructures repose sur un narratif : accélérer la diversification des chaînes d’approvisionnement en cobalt, manganèse et cuivre indispensables à la transition énergétique occidentale. Selon le cabinet CRU, le Katanga concentre 70 % de la production mondiale de cobalt raffiné, tandis que la Zambie demeure l’un des rares producteurs africains de cuivre de haute pureté (CRU, 2023).
Un financement hybride encore semé d’incertitudes
Conor Coleman, représentant de la Development Finance Corporation, a salué « une transaction complexe, mais irréversible ». Derrière cette emphase, le montage financier s’appuie sur un croisement inédit de prêts concessionnels américains, de garanties souveraines angolaises et de capitaux propres d’investisseurs privés. L’Africa Finance Corporation, forte d’un engagement de 500 millions de dollars, s’est vu confier la coordination d’un tour de table où émergent déjà Afreximbank et plusieurs fonds de pension américains (AFC, 2024).
La ventilation précise des risques – taux de fret, stabilité politique, viabilité à long terme du trafic – demeure toutefois l’objet de négociations serrées. Les opérateurs miniers redoutent que la rentabilité dépende d’une harmonisation douanière encore embryonnaire entre Luanda, Kinshasa et Lusaka. L’Angola, soucieux de rentabiliser le port en eau profonde de Lobito modernisé par le japonais Toyota Tsusho, milite pour un tarif de transit préférentiel, tandis que la RDC plaide pour une réduction des frais de manutention afin d’alléger le coût à la tonne exportée.
Concurrence sino-américaine : la bataille des corridors
La trajectoire du projet ne peut être dissociée du face-à-face sino-américain sur le continent. La China Railway Construction Corporation a déjà modernisé la ligne Benguela, maillon occidental du futur corridor, et propose d’étendre son empreinte vers Kolwezi. Pékin dispose par ailleurs d’un avantage comparatif : la détention de concessions minières stratégiques et la capacité à mobiliser rapidement des financements souverains via la China Exim Bank.
Pour Washington, l’enjeu dépasse le simple ruban de rails : il s’agit de prouver que son modèle – fondé sur la transparence des appels d’offres et la soutenabilité de la dette – est plus vertueux que la diplomatie de la dette souvent reprochée à Pékin. Le secrétaire d’État Antony Blinken l’a formulé en marge du sommet : « Nos partenariats se mesurent à leur durabilité, pas au poids des créances » (US State Department, 2024).
Quels gains pour les économies locales ?
Selon la Commission économique pour l’Afrique, la mise en service complète du corridor pourrait doubler, en cinq ans, les exportations minières de la RDC vers les marchés américains et européens, générant jusqu’à 30 000 emplois directs et indirects. L’Angola escompte, de son côté, augmenter de 40 % le trafic conteneurisé sur Lobito d’ici 2030. La Zambie, pressée de diversifier ses débouchés, voit dans l’ouverture de cette façade atlantique un moyen de réduire de 15 % ses coûts logistiques.
La matérialisation de ces gains suppose néanmoins une gouvernance transfrontalière robuste. Les trois États étudient la création d’une Autorité du corridor de Lobito chargée de fixer les péages ferroviaires et d’arbitrer les litiges. Or, Lusaka et Kinshasa rappellent que leurs précédentes tentatives de structures communes – on pense au Comité transfrontalier du barrage d’Inga – se sont soldées par une bureaucratie pléthorique et un financement chancelant.
Perspectives : locomotive ou mirage ?
À court terme, le calendrier vise un bouclage financier avant la fin 2024 et un début des travaux de réhabilitation des segments zambiens début 2025. Les observateurs restent prudents : l’instabilité dans l’est de la RDC pourrait perturber la circulation des matières premières, tandis que la tentation pour chaque capitale de privilégier ses intérêts budgétaires risque de fragmenter le projet.
Pourtant, si le corridor franchit ces écueils, il pourrait devenir la première dorsale ferroviaire libre-accès du continent – un précédent susceptible d’inspirer les corridors Maputo-Harare ou Dakar-Bamako. À l’inverse, un enlisement renforcerait l’idée, tenace, que les annonces à grand spectacle masquent une capacité d’exécution limitée. Dans un système international fragmenté, Lobito apparaît ainsi comme le test, grandeur nature, de la capacité des États-Unis à traduire leur rhétorique de partenariat en kilomètres de rails tangibles.