Une fausse alerte façon Citizen Digital enflamme les réseaux
Le 25 juin 2025, alors que Nairobi vivait une journée de recueillement et de mobilisation nationale, une vignette au graphisme convaincant a surgi sur Facebook et X. Arborant le logo familier de Citizen Digital, elle annonçait sans ambages : « SK Macharia licencie Linus Kaikai pour couverture biaisée des protestations ». Sur fond rouge caractéristique, la mention « News Alert » laissait supposer une communication institutionnelle. Rapidement partagée par des comptes influents, la publication a atteint plusieurs centaines de milliers d’impressions en moins de deux heures, preuve de la perméabilité de l’espace informationnel africain aux contenus non vérifiés.
La mécanique de l’infox repose ici sur trois ressorts classiques : un visuel imitant le canal officiel, l’utilisation d’un événement émotionnellement chargé et l’implication d’acteurs médiatiques de premier plan. Linus Kaikai, éditorialiste réputé pour ses prises de position en faveur de la liberté de la presse, fut ainsi placé au centre d’une fausse dramaturgie dont l’objectif, selon un analyste kényan joint par téléphone, « n’était pas tant de saper un individu que de tester la robustesse des garde-fous rédactionnels ».
Le contexte sensible du 25 juin 2025 et la pression réglementaire
La date n’avait rien d’anodin. Elle marquait le premier anniversaire des manifestations nées du projet de loi de finances 2024, soldées par plusieurs victimes civiles. Dans ce climat de commémoration, la moindre décision éditoriale était scrutée. Or, quelques heures plus tôt, l’Autorité des communications du Kenya avait ordonné aux chaînes de télévision d’interrompre leurs directs, invoquant la préservation de l’ordre public. Citizen TV, tout comme NTV et KTN, avait continué de diffuser, avant de voir ses signaux brusquement suspendus, une mesure jugée illégale quelques jours plus tard par la Haute Cour (décision du 1ᵉʳ juillet 2025).
Cette séquence a ravivé la dialectique entre encadrement étatique et indépendance médiatique. Pour certains acteurs civils, la suspension des signaux a illustré une tentation de contrôle rapproché du narratif national. Pour d’autres, elle relevait de la responsabilité régalienne de prévenir des débordements. Quoi qu’il en soit, l’ombre de cet affrontement a fourni un terreau fertile à la rumeur du licenciement : si la couverture était jugée « biaisée », la sanction semblait plausible aux yeux d’un public déjà sensibilisé à la tension État-médias.
La réaction rapide des organes de presse traditionnels
Dès l’apparition du visuel litigieux, la rédaction numérique de Citizen TV a entrepris une vérification interne. Selon un porte-parole joint par Africa Check, « aucune mesure disciplinaire n’a été envisagée contre M. Kaikai ». L’équipe a noté que la police de caractères différait subtilement des modèles validés, indice suffisant pour déclencher une alerte interne et un démenti officiel sur les comptes certifiés du groupe. Dans la foulée, plusieurs journalistes kenyans, dont Yvonne Okwara, ont repris l’information afin de désamorcer l’emballement.
Cette réactivité illustre l’évolution des pratiques de vérification : plus qu’une posture éthique, la désintoxication est devenue un impératif de survie économique. « Un média qui laisse prospérer une fausse nouvelle portant sa signature abdique une part de sa crédibilité auprès des annonceurs, des diplomates et du grand public », rappelle un consultant basé à Addis-Abeba. En l’espèce, la coordination entre cellule digitale et direction juridique a permis de contenir l’incendie en moins de vingt-quatre heures.
Enjeux diplomatiques de la lutte contre l’infox en Afrique de l’Est
La mésaventure kényane s’inscrit dans une trame continentale où la guerre de l’information se joue à la fois sur le terrain intérieur et dans les arènes diplomatiques régionales. À quelques encablures, l’Union africaine développe un cadre de coopération visant à favoriser le partage de bonnes pratiques contre la désinformation transfrontalière. Les diplomates d’Afrique centrale observent ces développements avec intérêt, conscients que la stabilité politique et économique dépend de la confiance accordée aux canaux institutionnels. Dans un entretien accordé à notre revue, un haut fonctionnaire de la CEEAC affirme que « la mutualisation des mécanismes de fact-checking représente désormais un pilier de la gouvernance numérique ».
Le cas Kaikai offre un précédent opérationnel : il montre qu’en l’absence de réaction concertée, une rumeur locale peut vite être instrumentalisée par des acteurs extérieurs pour délégitimer des institutions. À l’inverse, un démenti rapide, relayé par les ambassades et les missions régionales, réduit la surface de propagation. Sur ce point, la diplomatie publique kenyane a tiré les enseignements de précédentes campagnes d’infox qui, en 2017, avaient entamé la confiance des investisseurs internationaux.
Leçon à méditer sur la résilience médiatique continentale
À la faveur de l’affaire Kaikai, une conclusion s’impose : la résilience du paysage médiatique africain ne peut reposer uniquement sur la vigilance des rédactions. Elle requiert l’implication conjointe des autorités de régulation, des plateformes technologiques et des organisations de la société civile, sans négliger la dimension internationale. En encourageant la transparence, la formation continue des journalistes et la coopération inter-régionale, les États se dotent d’un rempart efficace contre les manipulations informationnelles.
Si le Kenya a pu démontrer la solidité de ses contre-feux institutionnels, d’autres capitales du continent, à l’image de Brazzaville, ont également engagé des initiatives de veille stratégique et de sensibilisation des citoyens à l’éthique numérique. Loin d’opposer gouvernance et libertés, ces démarches illustrent une convergence vers un espace public africain plus mature, où le discernement face aux rumeurs devient un enjeu de souveraineté partagée.