Escalade silencieuse à la frontière sud
Depuis la signature du cessez-le-feu du 27 novembre 2024, la frontière israélo-libanaise n’a jamais vraiment retrouvé le calme. Les drones qui sillonnent le ciel au-dessus de Kafr Kila, les tirs d’artillerie sur les collines de Khiam et le survol quasi quotidien de la Bekaa par l’aviation israélienne rappellent qu’une guerre à bas bruit se poursuit. L’état-major israélien assume une « stratégie d’interdiction » destinée à repousser le Hezbollah au-delà du Litani, voire à l’éroder dans la profondeur du territoire. Cette méthode, qualifiée à Jérusalem de « jardinage régulier », vise à empêcher toute reconstitution des stocks de roquettes tout en testant le seuil de tolérance de Beyrouth.
L’injonction américaine du désarmement
Le dispositif militaire s’accompagne d’une offensive diplomatique. À Beyrouth, l’ancienne porte-parole du département d’État Morgan Ortagus, désormais envoyée spéciale adjointe pour le Moyen-Orient, répète que « le désarmement complet du Hezbollah reste la condition d’un soutien économique massif » (Déclaration à la presse, 3 avril 2025). Or, la résolution 1559 de l’ONU évoquée par Washington n’a jamais été pleinement appliquée, faute de consensus interne et de mécanisme de vérification. Pour l’administration américaine, la guerre de Gaza, puis l’opération aérienne contre les sites nucléaires iraniens du 13 juin 2025, justifient de « fermer le dernier maillon » de l’« axe de la résistance ».
Des négociations libanaises dans l’impasse
Au sein du gouvernement libanais formé par le Premier ministre Nawaf Salam, les lignes de fracture sont béantes. Les Forces libanaises de Samir Geagea exigent un calendrier précis de démantèlement, arguant que la normalisation avec les bailleurs occidentaux passe par là. À l’opposé, le président Joseph Aoun insiste sur « un dialogue non conflictuel » qui subordonnerait toute réduction d’arsenal à un arrêt vérifiable des violations israéliennes. Entre les deux, les ministres indépendants redoutent que la dissolution du Hezbollah ne crée un vide sécuritaire exploitable par des groupuscules radicaux. Le résultat est une paralysie que la population, confrontée à une inflation de 120 %, perçoit comme l’incapacité chronique de la classe dirigeante à trancher.
La stratégie de pressurisation régionale d’Israël
Tel-Aviv articule le dossier libanais à une ambition plus vaste : remodeler l’arc levantin. Dans un article programmatique publié par le général (cr) Amos Yadlin (New York Times, 21 juin 2025), l’ancien chef du renseignement militaire plaide pour « une fenêtre stratégique inédite » permettant de contenir l’Iran, d’assécher le Hamas à Gaza et de neutraliser le Hezbollah. Pour les planificateurs israéliens, la supériorité militaire qualitative fournie par les États-Unis doit être convertie en avantage géopolitique permanent. Les frappes conjointes américano-israéliennes contre trois sites nucléaires iraniens, le 21 juin, traduisent cette logique : démontrer qu’aucune profondeur stratégique n’est hors de portée.
Alliés de Washington en doute
Pourtant, l’offensive contre l’Iran n’a pas produit l’effet d’alignement attendu. Riyad, Abou Dhabi et Le Caire, qui avaient vigoureusement dénoncé les provocations d’Ebrahim Raïssi en 2019, se sont cette fois contentés de condamner les frappes israélo-américaines. L’Arabie saoudite a même assuré l’accueil temporaire des pèlerins iraniens bloqués sur son sol, geste symbolique mais révélateur d’une volonté de désescalade régionale. L’universitaire Vali Nasr voit dans ce basculement un « moment westphalien inversé » où les États du Golfe entendent privilégier la stabilité énergétique sur la confrontation idéologique (Foreign Affairs, 10 juin 2025). Dans ce contexte, accentuer la pression sur Beyrouth pourrait s’avérer contre-productif : plus Israël martèle la nécessité de désarmer le Hezbollah, plus certains pays arabes jugent cette exigence irréaliste sans garanties sécuritaires pour le Liban.
Scénarios de sortie et risques de conflagration
Trois trajectoires se dessinent. La première, souhaitée par Israël, verrait une combinaison de coups de force aériens et de sanctions internationales conduire le Hezbollah à se muer en parti purement politique ; cette perspective suppose toutefois une présence robuste de l’armée libanaise au Sud et un parapluie sécuritaire occidental, deux conditions pour l’instant inexistantes. Le second scénario, redouté à Beyrouth, est celui d’un engrenage conduisant à une guerre ouverte Liban-Israël, avec un front intérieur libanais fragmenté et un risque d’embrasement syrien. Enfin, un troisième scénario, de plus en plus évoqué dans les chancelleries européennes, miserait sur un arrangement tacite : gel du programme de drones du Hezbollah contre un moratoire israélien sur les frappes hors zone frontière, adossé à un mécanisme de vérification onusien renforcé. Pour que cette option prenne corps, encore faudrait-il que Washington et Téhéran renoncent à la logique de démonstration de force qui a marqué le mois de juin. Or l’Iran a prévenu qu’il se « réserve toutes les options », tandis que le Conseil de sécurité demeure paralysé par le veto américain. Dans cette impasse, le Liban reste l’épicentre du test grandeur nature de la dissuasion au Moyen-Orient.