Une scène mondiale au service des océans durables
Le littoral atlantique s’est discrètement imposé comme un laboratoire de la nouvelle diplomatie climatique. Réuni au Portugal, l’Oeiras Bluetech Ocean Forum 2025 a entremêlé, le temps d’une session de haut niveau, les attentes des décideurs publics, des capitaines d’industrie et des stratèges militaires autour d’un enjeu commun : faire des espaces maritimes le moteur d’une croissance sobre en carbone. La présence africaine, incarnée par une puissante délégation marocaine, a rappelé que le continent possède 38 pays côtiers et contrôle près de 13 millions de kilomètres carrés de zones économiques exclusives, soit un potentiel souvent sous-évalué par les tableaux macroéconomiques traditionnels.
Dans un contexte où la pression sur les ressources halieutiques s’intensifie et où la demande mondiale pour un fret maritime décarboné s’accélère, l’économie bleue apparaît comme une réponse stratégique alliant sécurité alimentaire, création d’emplois et rayonnement géopolitique. Plusieurs diplomates européens ont ainsi souligné que « l’Afrique n’est plus simplement un réservoir de matières premières, mais un laboratoire d’innovations océaniques », pour reprendre la formule d’un conseiller du Service européen pour l’action extérieure présent à Oeiras.
Le Maroc, porte-drapeau continental au Forum
Confiée à l’universitaire Sarra Sefrioui, la présentation marocaine a articulé cinq axes : gouvernance juridique, infrastructures résilientes, aquaculture raisonnée, biotechnologies marines et formation des compétences. Sa démonstration s’appuie sur les provinces du Sud, carrefour Atlantique au sein duquel le gouvernement de Rabat déploie une stratégie portuaire intégrée. « Nous ne dissocions plus le quai du laboratoire de R&D », a souligné Mme Sefrioui, indiquant que chaque projet d’expansion de quai inclut un centre d’innovation consacré à la valorisation de la biomasse algale et à la surveillance de la biodiversité.
L’intervention a été saluée pour son réalisme budgétaire : les 12 milliards de dirhams engagés dans le Port Atlantique de Dakhla sont cofinancés par des obligations vertes souveraines assorties d’un reporting carbone annuel. Le directeur de Techla Frigo, Limam Bousif, a précisé que les éoliennes implantées sur la jetée permettront d’alimenter la chaîne du froid, condition sine qua non pour rayonner vers les marchés subsahariens en perishable goods.
Infrastructures et innovation : la matrice de Dakhla
Le projet de Dakhla illustre la montée en puissance d’une diplomatie des infrastructures, où le port devient à la fois moteur industriel et vitrine normative. Conçu sur la base des standards de l’Organisation maritime internationale pour les plans de réduction d’émissions, il comprend une zone franche aquacole intégrée, un terminal GNL à faible émission de méthane et un hub de données océanographiques en temps réel. Selon un responsable portugais de la Direction générale de la mer, « Dakhla préfigure les ports de troisième génération, capables de fusionner logistique, énergie renouvelable et services numériques ».
L’approche traduit une réalité géostratégique : le gisement de croissance future réside moins dans l’exportation brute que dans la capacité à capter la valeur ajoutée des chaînes maritimes. Les biotechnologies marines, allant de la cosmétique naturelle aux enzymes pharmaceutiques, constituent un marché mondial déjà estimé à 5 % du PIB océanique, un ratio appelé à doubler d’ici 2030 selon l’OCDE.
Résonances pour l’Afrique centrale et le Congo-Brazzaville
Au-delà du leadership marocain, les discussions d’Oeiras ont suscité un intérêt marqué pour la façade atlantique d’Afrique centrale, dont le Congo-Brazzaville détient l’un des littoraux les plus boisés et biodiverse du golfe de Guinée. Pointe-Noire, dotée d’un terminal pétrolier historique, se trouve déjà au cœur de plans de reconversion visant à diversifier la base industrielle vers les services portuaires verts et la transformation des produits halieutiques. L’expérience de Dakhla offre ici un canevas réplicable, notamment en matière de partenariats public-privé et de normes volontaires de durabilité.
Des experts de la Commission du golfe de Guinée ont rappelé que la stratégie nationale de l’économie bleue de Brazzaville, adoptée en 2022, prévoit la mise en place d’une Académie maritime régionale et d’un incubateur technologique dédié aux bioplastiques. Les échanges informels menés à Oeiras laissent entrevoir des coopérations triangulaires Maroc-Congo-Union européenne axées sur le transfert d’ingénierie portuaire et le financement climatique. L’alignement du Congo-Brazzaville sur les principes de neutralité carbone et de gouvernance intégrée a été salué par plusieurs délégations, renforçant la crédibilité internationale du pays et la vision du président Denis Sassou Nguesso de conjuguer prospérité et préservation de l’écosystème marin.
Vers une gouvernance océanique inclusive et responsable
Les conclusions du Forum soulignent qu’aucune économie bleue n’est viable sans un socle de gouvernance robuste. La Commission africaine de l’Union africaine prépare, pour le sommet de février 2026, un cadre contraignant sur la certification des ports durables. Le Maroc a proposé de coordonner, avec le soutien technique de la Banque africaine de développement, un observatoire continental des émissions portuaires. Le Congo-Brazzaville, fort de son rôle actif dans la Commission climat du Bassin du Congo et de la proclamation de Pointe-Noire comme future « Capitale bleue d’Afrique centrale », est pressenti pour intégrer le comité de pilotage.
À court terme, la priorité reste la mutualisation des données océanographiques afin de mieux anticiper la montée des eaux et les risques de pollution. L’Oeiras Bluetech Ocean Forum aura ainsi rappelé, à travers l’exemple marocain, que la compétitivité se conjugue dorénavant à la sobriété environnementale. Pour l’ensemble du continent, la valorisation du capital océanique ouvre une fenêtre d’opportunité historique : bâtir de nouvelles routes maritimes où la croissance rime avec responsabilité et où la diplomatie se fait vecteur de solutions, non de rivalités.