Un accord qui conforte l’attractivité maritime marocaine
La signature, annoncée depuis Lugano par Cavotec, d’un contrat d’une valeur de cinq millions d’euros avec un opérateur portuaire de premier plan au Maroc confirme l’ambition du royaume de consolider son rôle de carrefour logistique en Méditerranée. Le dispositif MoorMaster, reposant sur un système d’aspiration pneumatique, promet de réduire de plusieurs minutes les temps d’accostage et de libération des navires, un avantage concurrentiel décisif dans une région où transbordement et transits intercontinentaux se densifient.
Le terminal concerné, déjà doté de bobines motorisées, de systèmes de protection Panzerbelt et de connecteurs haute puissance signés Cavotec, franchit ainsi une nouvelle étape dans son programme de modernisation. L’échéance de livraison fixée à septembre 2026 s’inscrit dans la période charnière où les grands hubs africains jouent une partition stratégique pour capter les flux issus de l’allongement des chaînes de valeur euro-asiatiques.
Le pari technologique de l’amarrage sous vide
Le MoorMaster remplace les amarres traditionnelles par une série de ventouses qui, en moins de trente secondes, collent littéralement la coque au quai. Outre la réduction du temps mort opérationnel, la précision millimétrique de l’alignement permet d’augmenter la cadence des portiques de chargement. Selon Cavotec, l’économie peut atteindre jusqu’à 60 % de temps de manœuvre, un argument de poids pour les armateurs soucieux d’optimiser la rotation de leurs porte-conteneurs toujours plus imposants.
Une dynamique régionale en quête de productivité
L’investissement intervient dans un contexte où Tanger Med, Casablanca et Nador West Med se livrent une saine émulation pour attirer les flux asiatiques et européens. La compétitivité ne se joue plus uniquement sur les tarifs ou la position géographique : l’efficacité opérationnelle, la fiabilité et la réduction de l’empreinte carbone constituent désormais le triptyque clef. En optant pour la technologie suisse, l’opérateur marocain signale à la fois sa capacité d’absorption d’innovations et sa volonté d’aligner ses standards sur ceux des terminaux d’Asie orientale.
L’impact environnemental : la bataille des émissions
Le secteur portuaire est responsable d’environ 2 % des émissions mondiales liées au transport maritime. En stabilisant le navire sans l’intervention de remorqueurs ni de treuils diesel, le MoorMaster réduit la consommation de carburant et, par là même, les rejets de CO₂ et d’oxydes d’azote sur la zone d’accostage. Cette dimension répond aux critères imposés par l’Organisation maritime internationale pour la décennie 2023-2033, mais aussi aux engagements du Maroc dans le cadre de l’Alliance pour la décarbonation du transport maritime.
L’intégration à terme d’une alimentation à quai — autre spécialité de Cavotec — permettrait d’aller plus loin en coupant les moteurs auxiliaires durant le stationnement. À l’heure où l’Union européenne s’apprête à étendre son système d’échanges de quotas carbone au transport maritime, anticiper ces normes devient un impératif financier autant qu’environnemental.
Des répercussions sur la chaîne logistique africaine
Au-delà du cas marocain, l’opération donne le ton pour les ports d’Afrique occidentale qui cherchent à sortir d’une logique de dépendance aux hubs européens. Dakar, Abidjan ou Pointe-Noire, déjà engagés dans d’ambitieux programmes d’extension, observent de près la trajectoire technologique de leur voisin du Nord. Dans les cercles diplomatiques, on souligne que l’adoption de standards techniques homogènes favoriserait l’interopérabilité et fluidifierait les corridors stratégiques traversant le Sahel.
Interrogé sur la portée régionale du contrat, David Pagels, directeur général de Cavotec, estime que « l’innovation peut être un formidable catalyseur d’intégration continentale, en ce qu’elle crée des benchmarks auxquels chacun aspire ». Une déclaration qui ne manque pas de résonance alors que l’Accord de libre-échange continental africain, entré en vigueur en 2021, vise précisément à réduire les frictions logistiques inter-états.
Vers une maintenance 4.0 et des emplois qualifiés
Le volet services, couvert par un contrat de deux ans, prévoit la formation d’équipes locales à la maintenance prédictive. Des modules IoT intégreront les ventouses afin de surveiller en temps réel la pression et la température, limitant ainsi les interruptions imprévues. Cette approche s’inscrit dans l’objectif du Maroc de monter en gamme dans les métiers portuaires, en créant des postes d’ingénierie et d’analyse de données plutôt que de simples emplois d’exécution.
Pour Cavotec, la base installée au Maroc servira de vitrine commerciale sur le continent. L’entreprise, cotée à Zurich, ambitionne d’augmenter de 15 % sa part de marché en Afrique sur les trois prochaines années, misant sur la croissance de l’e-commerce et la redynamisation des échanges intracontinentaux.
Une étape parmi d’autres dans la mutation des hubs méditerranéens
Les défis demeurent. L’attractivité d’un terminal ne dépend pas seulement de l’accostage mais aussi de la performance ferroviaire et routière en aval. Les retards dans la mise à niveau des corridors terrestres pourraient grignoter le gain de productivité généré à quai. Néanmoins, la philosophie de l’accord Cavotec — marier efficacité, sécurité et sobriété énergétique — répond à la tendance lourde des armateurs : escaloméger, c’est-à-dire maximiser le tonnage sur une escale unique pour réduire les émissions par conteneur transporté.
Dans cette course, le Maroc s’arme d’un dispositif qui lui permet de négocier avec des compagnies au cahier des charges toujours plus exigeant. Pour l’ingénieur portuaire interrogé par notre revue, « l’amarrage sous vide ne se résume pas à un gadget, il redéfinit la grammaire portuaire en l’alignant sur les impératifs du XXIᵉ siècle ». À la faveur de ce contrat, le royaume confirme sa capacité à occuper un segment où l’ingénierie de pointe dialogue avec la diplomatie économique.