Une stratégie nocturne à l’assaut des goulets de productivité
Dans un auditorium d’Accra attentif aux images de lignes d’assemblage éclairées à la lumière blanche des LED, le Secrétariat en charge de « The 24-Hours Economy » a dévoilé, en présence de ministres clés et de représentants du secteur privé, les grandes masses financières nécessaires à la mise en route de ce que certains commentateurs décrivent déjà comme un « pari industriel sous les étoiles ». À en croire le Dr Ishmael Nii Amanor Dodoo, responsable de l’innovation du programme, il faudra mobiliser 4 milliards USD sur quatre exercices budgétaires pour transformer profondément l’architecture productive d’un pays dont la croissance, quoique résiliente, reste tributaire des créneaux diurnes et des spécialisations extractives.
Le concept est simple dans son audace : prolonger le cycle de travail du textile, de l’agro-transformation, des services logistiques et du tourisme urbain de manière à repousser la frontière de l’utilisation des capacités installées. Le gouvernement ghanéen espère ainsi gagner jusqu’à 3 points de produit intérieur brut supplémentaire sur la période, tandis que les projections internes évoquent 200 000 emplois directs créés dans les cinq premières années (Ministry of Finance, 2024).
Mobiliser 4 milliards USD sans dérégler la soutenabilité macroéconomique
Le timing de l’annonce interpelle les observateurs. Accra mène encore les négociations finales avec le FMI pour consolider l’accord de facilité élargie signé l’an dernier. L’intégration de nouveaux engagements hors budget est donc scrutée de près par les bailleurs. Le ministre des Finances a souligné que la moitié de l’enveloppe proviendrait d’investissements privés, notamment via des obligations vertes et des instruments de partage de risques que les banques commerciales locales s’apprêtent à tester. La part publique reposera, elle, sur une réallocation de crédits existants et sur des guichets concessionnels auprès de la Banque africaine de développement.
Pour l’économiste Nora Amarteifio, invitée sur la radio nationale, la question est moins celle du quantum que de la cadence d’absorption. « Le Ghana devra s’assurer que les décaissements suivent la montée en puissance des projets pour éviter toute tension de trésorerie », avertit-elle, rappelant le précédent de 2019, où un programme d’industrialisation avait été ralenti par des goulots administratifs.
Un nouveau contrat social entre État, secteur privé et partenaires sociaux
Au-delà du montage financier, l’économie 24/7 implique une réorganisation substantielle du droit du travail. Les syndicats, tout en saluant le potentiel de création d’emplois, insistent sur la nécessité de garanties en matière de rotation des équipes, de majorations salariales nocturnes et de transport sécurisé pour les travailleurs. Le gouvernement a annoncé l’ouverture prochaine d’une table ronde tripartite destinée à calibrer un cadre normatif adapté, inspiré des expériences du Maroc et du Mexique sur les quarts de nuit.
Les entreprises, quant à elles, entrevoient un double avantage : l’allongement des séries de production et l’accès permanent aux services douaniers et portuaires, ces derniers s’engageant à fonctionner en continu dès 2025. Plusieurs marques de textile installées à Tema disent déjà préparer des investissements dans la robotisation légère afin de coupler productivité nocturne et efficacité énergétique.
Enjeux géopolitiques d’une économie en continu en Afrique de l’Ouest
L’initiative ghanéenne survient dans un contexte sous-régional où la compétition pour attirer les chaînes de valeur s’intensifie. Abidjan pousse son propre agenda de « smart factories », tandis que Lagos s’appuie sur son hub numérique pour capter l’assemblage électronique. En misant sur le 24h/24, Accra souhaite se positionner comme plateforme de transformation intermédiaire, susceptible de combler les délais logistiques et de fournir des biens semi-finis aux marchés voisins.
La dimension énergétique du projet retient toutefois l’attention. Le Ghana, autosuffisant en électricité la plupart des années, dépend néanmoins du gaz nigérian. Le ministère de l’Énergie a assuré qu’un plan de diversification, incluant le solaire de grande capacité, accompagnera la montée en puissance nocturne pour éviter tout phénomène de délestage qui fragiliserait l’attractivité du dispositif.
Leçons régionales et ouverture à la coopération Sud-Sud
Dans les couloirs feutrés de l’Union africaine, plusieurs délégations voient dans l’expérience ghanéenne un laboratoire transposable, à condition de respecter les spécificités de la démographie active et de la distribution énergétique. Certains États d’Afrique centrale, à l’image du Congo-Brazzaville, observent avec intérêt la gouvernance du projet, notamment la création d’un guichet unique regroupant fiscalité incitative, formation technique et accompagnement à l’exportation. Sans émettre de jugement, les diplomates évoquent la possibilité d’accords bilatéraux d’échange de bonnes pratiques, cochant ainsi les cases de la coopération Sud-Sud prônée par l’Agenda 2063.
À court terme, Accra devra démontrer sa capacité à livrer des résultats tangibles avant la fin de la législature. « Nous avons l’avantage d’un capital humain jeune et d’une capacité d’innovation prouvée », rappelle Dr Dodoo, confiant dans la matérialisation du projet pilote prévu pour démarrer dans deux parcs industriels dès le troisième trimestre 2024.