Brazzaville, nouvelle agora des affaires francophones
À vingt minutes du centre-ville de Brazzaville, le Grand Hôtel de Kintélé s’apprête, du 26 au 28 juin 2025, à accueillir les 2 800 participants annoncés de la cinquième Rencontre des entreprises francophones. Jamais encore la République du Congo n’avait réuni une telle densité de chefs d’entreprise, de ministres, de représentants d’institutions multilatérales et de journalistes autour de l’idée, résolument pragmatique, que la langue française peut devenir un vecteur privilégié d’intégration commerciale. Pour le pouvoir congolais, cette vitrine constitue un test grandeur nature de sa capacité d’organisation après le sommet des trois Bassins forestiers de 2023, tout en projetant une image de stabilité politique et de disponibilité des infrastructures hôtelières récentes.
Un espace linguistique devenu marché global
Les 73 États et gouvernements membres de l’Organisation internationale de la Francophonie représentent 320 millions de locuteurs et, surtout, environ 16 % du PIB mondial. Derrière les formules lyriques sur la « communauté de destin francophone », les organisateurs misent sur la fluidité linguistique pour réduire les coûts de transaction et faciliter la circulation des biens, des capitaux et des idées. Selon l’économiste sénégalais Abdou Diop, « la proximité culturelle réduit de près de 30 % les obstacles non tarifaires », un argument qui résonne chez les PME en quête de débouchés.
Entre soft power et diplomatie économique
L’événement est placé sous le patronage du président Denis Sassou-N’Guesso, mais Paris, Ottawa, Rabat et Abidjan déploient aussi leurs délégations, conscients qu’un sommet économique offre une scène moins sensible qu’un sommet politique pour exercer leur influence. Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF, insiste sur « la nécessaire cohérence entre nos valeurs et nos échanges ». Cette dialectique entre idéal de solidarité et recherche de parts de marché constitue la toile de fond réelle des couloirs du Grand Hôtel.
Les infrastructures congolaises à l’épreuve de l’ambition régionale
Les organisateurs promettent « plus de confort, plus d’accessibilité ». Pourtant, la rocade reliant l’aéroport Maya-Maya à Kintélé demeure ponctuée de travaux, et les connexions internet, clé des rendez-vous BtoB dématérialisés, restent inégales. La Banque mondiale estime que la République du Congo devra investir 8 % de son PIB chaque année pour combler son déficit logistique. Si le gouvernement assure que la nouvelle centrale solaire de Djiri sécurisera l’approvisionnement électrique du site, les délégations occidentales prévoient néanmoins leurs générateurs autonomes.
Petites et moyennes entreprises : le chaînon vital d’une croissance partagée
Pour dépasser le discours incantatoire, la REF 2025 réserve un tiers de ses ateliers aux stratégies de financement des PME. La Société financière internationale promet une ligne de crédits de 150 millions de dollars à taux concessionnel destinée aux start-up opérant en zone francophone. « Sans l’émergence d’un tissu entrepreneurial intermédiaire, la Francophonie restera un club de majors », prévient la Camerounaise Léonie Kotto, qui dirige un fonds d’impact basé à Montréal. Reste à clarifier les garanties publiques exigées, souvent hors de portée des jeunes pousses.
Défis de gouvernance et attentes des investisseurs
La transparence des marchés publics et la sécurité juridique figurent au sommet des interrogations. Le dernier indice Doing Business classe Brazzaville à la 180e place sur 190 pour l’exécution des contrats. Les autorités rétorquent avoir adopté, en mars, un système de guichet unique numérique censé réduire de moitié les délais d’immatriculation. Les investisseurs institutionnels saluent l’initiative, mais réclament un mécanisme d’arbitrage francophone indépendant, à l’instar de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, afin de sécuriser les flux.
Francophonie et développement durable : une convergence nécessaire
Le thème officiel, « bâtir ensemble une croissance partagée », implique une prise en compte de la transition écologique. Les pays du Sud, RDC et Côte d’Ivoire en tête, veulent conditionner les futures chaînes de valeur francophones à un transfert de technologies vertes. La France plaide, de son côté, pour un prix plancher du carbone intra-francophone. Cette articulation entre croissance et sobriété risque de cristalliser des tensions, mais elle pourrait aussi différencier l’espace francophone face à la compétition sino-anglophone.
Vers une feuille de route post-REF : promesses et vigilance
Au terme des trois jours, un « pacte de Brazzaville » devrait acter la création d’un réseau numérique d’opportunités d’affaires regroupant 10 000 entreprises et la tenue d’un baromètre annuel de la mobilité des talents francophones. Si les chancelleries saluent l’engagement, plusieurs ONG, dont Transparency International, exhortent à publier la méthodologie et le financement de ces dispositifs. En diplomatie économique, la crédibilité se mesure autant à la signature qu’à l’application, rappelle un cadre de la Banque africaine de développement.