Une adhésion stratégique dans la diplomatie forestière
Dans les fastes de la quarante-quatrième Conférence de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, le 30 juin dernier, la République du Congo a remis son instrument d’adhésion à la Commission internationale du peuplier (CIP). Le geste, hautement symbolique, s’est déroulé sous le regard du directeur général de la FAO, Qu Dongyu, conférant à l’événement une portée diplomatique assumée. Pour Brazzaville, rejoindre cet organe créé dès 1947 confirme sa volonté de se positionner au cœur des enceintes multilatérales consacrées aux essences forestières à croissance rapide.
À l’heure où la gouvernance climatique se décline de plus en plus sur le terrain des solutions fondées sur la nature, l’affiliation congolaise à la CIP témoigne d’un pragmatisme : élargir la palette de ses partenaires techniques et accroître l’accès à des variétés génétiques éprouvées, tout en demeurant acteur responsable des engagements de l’Accord de Paris.
Les coulisses d’un plaidoyer porté par Rosalie Matondo
Ce ralliement n’est pas le fruit du hasard. Rosalie Matondo, ministre de l’Économie forestière, avait déjà plaidé la cause congolaise lors de la vingt-septième session de la CIP à Bordeaux, du 22 au 26 octobre 2024. « Le Congo dispose de plus de deux millions d’hectares de terres aptes au reboisement intensif », avait-elle rappelé devant une assemblée où se côtoient généticiens, sylviculteurs et diplomates. La ministre, forte du soutien de la présidence, a également souligné la nécessité pour les pays du Bassin du Congo de bénéficier d’un transfert technologique adapté à leurs réalités écologiques.
De retour à Brazzaville, le département qu’elle dirige a affiné son argumentaire, articulé autour de la cohérence entre la Stratégie nationale de développement durable et l’ambitieux Programme national d’afforestation et de reboisement (PRONAR). L’ambassadeur Henri Okemba a porté officiellement le dossier devant la FAO à Rome, où il a reçu l’accusé de réception confirmant l’aboutissement des tractations.
La CIP, un levier pour le Programme national d’afforestation
La CIP n’est pas qu’un club scientifique restreint aux peupliers. Depuis la réforme de son mandat en 2004, l’institution accueille toute essence utile aux populations et à l’environnement. Peupliers, eucalyptus, gmelina ou acacia s’y côtoient, répondant à la fois à la demande en bois d’œuvre, en biomasse énergétique et aux impératifs de restauration des terres dégradées. Pour le PRONAR, dont l’objectif est de planter un million d’hectares d’ici 2035, l’expertise cumulative de la CIP constitue un accélérateur notable.
À travers son adhésion, le Congo obtient un accès privilégié aux bases de données phytogénétiques, aux retours d’expérience sur l’optimisation des rendements et aux techniques de dépollution par phytoremédiation. Le secrétariat de la CIP organise régulièrement des missions d’appui dans les États membres, offrant une plateforme d’échanges Sud-Sud que Brazzaville compte bien activer, particulièrement avec l’Argentine et la Chine, deux pionniers de la populiculture industrielle.
Bioéconomie et diversification : un potentiel à valoriser
Au-delà du reboisement, la CIP sert de porte d’entrée vers une bioéconomie en plein essor. Les fibres issues des peupliers ou des eucalyptus alimentent déjà la filière papier-carton mondiale et suscitent des innovations dans les biocomposites destinés au bâtiment. Pour le Congo, qui ambitionne de réduire sa dépendance aux hydrocarbures, la création de zones économiques spéciales tournées vers la transformation du bois pourrait devenir un gisement d’emplois qualifiés.
Le gouvernement table sur un effet multiplicateur : l’augmentation des surfaces plantées fournira à terme une ressource régulière pour la production de panneaux de contreplaqué, de pellets exportables ou encore de bio-éthanol. Dans la même logique, la coopération avec les universités partenaires est appelée à se renforcer afin d’alimenter la recherche sur les lignines et les sucres cellulosiques, briques essentielles de l’économie circulaire.
Rome, Bordeaux, Brazzaville : une trajectoire multilatérale
L’itinéraire qui relie les réunions bordelaises de 2024 au dépôt de l’instrument d’adhésion en 2025 illustre la maîtrise des codes diplomatiques par la partie congolaise. Entre les deux villes, des consultations interservices ont permis de calibrer la feuille de route, tandis que l’Union africaine et la Commission des forêts d’Afrique centrale ont été tenues informées, gage de transparence régionale.
Selon plusieurs observateurs présents à Rome, le Congo a ainsi montré qu’il était en capacité de tenir un agenda compatible avec les exigences de la diplomatie climatique. La démarche offre également un contrepoint aux critiques récurrentes concernant la mise en œuvre des engagements forestiers en Afrique centrale, en soulignant l’importance d’institutions spécialisées pour accompagner les États.
Vers un leadership régional sur les essences à croissance rapide
À moyen terme, Brazzaville pourrait devenir une plateforme de référence pour la sélection clonale et la diffusion de semences certifiées destinées à l’Afrique subsaharienne. Le ministère de l’Économie forestière envisage de convoquer, en coordination avec le secrétariat de la CIP, un atelier continental sur les meilleures pratiques de populiculture, permettant de mutualiser les retours de terrain et d’harmoniser les protocoles sanitaires.
En s’ancrant dans la CIP, le Congo consolide non seulement son Programme national d’afforestation mais aussi son image d’interlocuteur crédible sur les enjeux de carbone et de biodiversité. Cette dynamique, soutenue par des partenaires techniques et financiers, pourrait bien redessiner la carte de l’économie verte au sein du Bassin du Congo.