Un retour sur les marchés sous contrainte budgétaire
Annoncée le 25 juin par le ministère égyptien des Finances, l’émission de sukuk d’un milliard de dollars marque la deuxième incursion du Caire sur le segment obligataire islamique international en moins de dix-huit mois (ministère égyptien des Finances). Après avoir mobilisé 1,5 milliard de dollars en février 2023, l’exécutif mise sur un instrument conforme à la charia pour contourner la frilosité des prêteurs traditionnels et diversifier un profil d’endettement devenu lourd : la dette publique avoisine 95 % du PIB, dont près d’un tiers libellé en devises fortes (Banque mondiale, données 2023).
Le rendement de 7,875 % reflète la prime de risque associée à un pays classé B- par S&P, mais la demande a dépassé 3,5 milliards selon les chefs de file du syndicat bancaire. Pour les autorités, ce succès relatif valide la stratégie d’une « fenêtre islamique » susceptible d’élargir la base d’investisseurs, notamment au sein des fonds sharia-compliant du Golfe.
La mécanique d’un sukuk souverain made in Cairo
Techniquement, l’instrument repose sur un portefeuille d’actifs immobiliers publics logés dans une structure ad hoc immatriculée au Luxembourg, destinée à garantir la conformité aux principes d’adossement à un actif réel. Les flux de loyers futurs versés par l’État constituent la source de paiement des détenteurs, lesquels ne perçoivent pas d’intérêt mais une quotepart de revenu locatif, conformément à la jurisprudence islamique.
L’échéance à huit ans, légèrement atypique, permet de lisser le mur de dettes qui se concentre entre 2027 et 2029. Le choix du dollar, plutôt que de la livre égyptienne ou de l’euro, s’explique par la profondeur des liquidités et la volonté implicite d’ancrer la devise nationale, qui a perdu plus de 50 % de sa valeur officielle depuis 2022.
Entre FMI et partenaires du Golfe, un besoin pressant de liquidités
L’opération intervient dans un contexte où Le Caire attend toujours la revue du programme de 3 milliards de dollars conclu avec le Fonds monétaire international, suspendue en raison d’un rythme de réformes jugé lent (FMI, rapport de juin 2024). En parallèle, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis conditionnent leur soutien budgétaire à des privatisations tangibles et à une plus grande flexibilité de change.
En mobilisant les marchés, le gouvernement montre sa capacité à lever des fonds sans brader d’actifs stratégiques, tout en envoyant un signal à ses débiteurs officiels. « C’est un message politique : l’Égypte reste bancable », observe un diplomate européen en poste au Caire. L’argument vise également Washington, soucieux de la stabilité d’un allié pivot sur la rive sud de la Méditerranée.
Réception mitigée des investisseurs : rendement attractif, risques palpables
Si la sursouscription montre l’appétit pour un rendement approchant 8 % quand les Treasuries à dix ans se négocient autour de 4,3 %, plusieurs gérants soulignent la vulnérabilité structurelle du modèle égyptien. Les importations de céréales et d’hydrocarbures, libellées en dollars, creusent un déficit courant que le tourisme et les transferts de la diaspora peinent à combler depuis la pandémie.
Le gel des revenus du Canal de Suez, affectés par les tensions en mer Rouge, ajoute une variable d’incertitude que le prospectus de l’opération ne pouvait occulter. Un analyste de JPMorgan, cité par Reuters, considère néanmoins que « le soutien implicite du Golfe agit comme un put option géopolitique ». Autrement dit, la dimension stratégique de l’Égypte contribue à contenir la perception de risque.
Une pierre dans le jardin de la diplomatie financière islamique
Au-delà des considérations budgétaires, le sukuk sert d’outil d’influence. Le Caire cherche à consolider son leadership dans la Banque islamique de développement et à capter une partie des flux d’investissement éthiques en provenance d’Asie du Sud-Est, où le marché des sukuk atteint 290 milliards de dollars (ICD-REFINITIV, 2023).
La rhétorique officielle insiste sur la compatibilité entre la finance islamique, l’agenda climat et les objectifs de développement durable : une manière de séduire les bailleurs multilatéraux tout en confortant une identité financière « halal ». Le ministre égyptien des Finances affirme vouloir « institutionnaliser un programme annuel de sukuk », créant ainsi une courbe de taux islamique qui ferait référence pour la région.
Perspectives : calendrier chargé et crédibilité en jeu
Les échéances s’annoncent serrées. Avant la fin de l’exercice fiscal, Le Caire doit refinancer 5,1 milliards de dollars de dette externe tout en honorant un coupon d’eurobonds arrivant à maturité en octobre 2024. La réussite de la session de privatisations – notamment la cession d’une part minoritaire de Telecom Egypt – sera scrutée par les agences de notation.
Un faux pas, qu’il s’agisse d’une dévaluation non contrôlée ou d’une dérive budgétaire liée aux subventions énergétiques, pourrait renchérir la prime de risque et annihiler les gains de l’émission récente. À l’inverse, une discipline soutenue ouvrirait la voie à un programme pluriannuel de sukuk verts, adossés à des projets d’hydrogène dans le Golfe de Suez, consolidant ainsi la place de l’Égypte à l’intersection de la diplomatie climatique et de la finance islamique.