Un partenariat académique stratégique au cœur des dynamiques Russie-Congo
Dans la moiteur paisible d’un après-midi de juillet, le hall de marbre de l’Université Marien Ngouabi a servi d’écrin à un geste hautement diplomatique : la signature, par le professeur Parisse Akouango et la professeure Natalia Pomortseva, d’une convention liant l’École nationale d’administration et de magistrature de Brazzaville à la très cosmopolite Université russe de l’amitié des peuples Patrice Lumumba. L’acte, s’il relève de l’évidence pour deux institutions depuis longtemps engagées dans l’internationalisation de leurs cursus, apparaît néanmoins comme une consolidation d’un axe que Moscou et Brazzaville cultivent patiemment depuis la visite officielle du président Denis Sassou Nguesso à Sotchi en 2019.
Selon les termes de l’accord, enseignants chercheurs, doctorants et étudiants circuleront de façon croisée entre les deux rives, tandis que des chaires conjointes en droit public comparé et en gestion des politiques publiques verront le jour. « Nous voulons doter nos futurs administrateurs d’une perspective globale indispensable à la modernisation de l’État », confie le professeur Akouango, soucieux de positionner l’ENAM comme carrefour continental de la science administrative.
Des retombées concrètes pour la gouvernance et la formation des cadres
Au-delà du vernis protocolaire, la convention ambitionne d’outiller la haute fonction publique congolaise face aux défis contemporains : numérisation des services, lutte contre la corruption, gestion durable des ressources naturelles. La RUDN, forte de son expérience dans l’accompagnement des administrations d’Asie centrale et d’Amérique latine, proposera des modules de renforcement des capacités portant sur la gouvernance électronique et l’évaluation des politiques publiques. Ces thématiques rejoignent les priorités fixées par le Plan national de développement 2022-2026, lequel insiste sur l’efficience et la transparence de l’action de l’État.
À Brazzaville, certains observateurs voient déjà dans cet accord l’un des leviers susceptibles d’accélérer l’émergence d’une nouvelle génération de hauts fonctionnaires, apte à conjuguer loyauté institutionnelle et ouverture internationale. « L’administration congolaise gagne à diversifier ses influences académiques », souligne la politologue Élodie Makosso, estimant que la complémentarité des écoles de pensée russes et francophones peut nourrir une approche pragmatique des réformes.
Un héritage lumumbiste revisité par la diplomatie éducative
La conférence-débat qui a suivi la signature n’avait rien d’anecdotique. En choisissant de revisiter l’héritage de Patrice Lumumba, les universitaires moscovites ont réactivé un imaginaire panafricain que la Russie cultive depuis l’ère soviétique. « Son appel à la liberté et à la dignité résonne avec notre époque mondialisée », a déclaré Maria Fakhrutdinova, directrice de la Maison Russe, saluant « l’audace visionnaire » de l’indépendantiste congolais. L’initiative s’inscrit dans le cycle de commémoration du centenaire de la naissance de Lumumba, inscrit à l’agenda culturel de plusieurs missions diplomatiques à Brazzaville.
En faisant dialoguer pensée lumumbiste et réalités administratives du XXIᵉ siècle, les partenaires entendent nourrir une réflexion critique sur le rôle des élites africaines dans la défense d’un multilatéralisme équilibré. Pour le sociologue russe Alexeï Vassiliev, présent à la tribune, « former de bons juges et de bons administrateurs, c’est perpétuer l’idée de justice et d’équité qu’incarnait Lumumba ». Ainsi, la diplomatie éducative devient-elle le vecteur d’une mémoire partagée, loin d’un discours figé.
Vers un nouvel ancrage de la coopération Russie-Afrique
Depuis le sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, la Fédération déploie une stratégie d’influence douce articulée autour de la formation des élites. L’ENAM rejoint ainsi un réseau d’institutions africaines partenaires de la RUDN, aux côtés de l’Université de Makerere en Ouganda et de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce maillage s’appuie sur la conviction que les solidarités académiques précèdent souvent les convergences économiques et sécuritaires.
Pour Brazzaville, l’accord acte la diversification de ses alliances pédagogiques, sans remise en cause de ses vecteurs traditionnels avec la France ou la Chine. « Notre diplomatie gagne en agilité dès lors qu’elle s’appuie sur une pluralité de pôles de compétence », estime un conseiller du ministère des Affaires étrangères. La neutralité bienveillante affichée par le Congo dans les grands dossiers géopolitiques offre d’ailleurs un cadre propice à ce type de coopérations non-alignées.
Une perspective d’avenir pour les deux institutions
Dans un monde où la concurrence pour les talents devient féroce, l’accord RUDN-ENAM illustre la mise en œuvre concrète d’une diplomatie de la connaissance, chère aux autorités congolaises. Les premières cohortes d’étudiants congolais se rendront à Moscou dès la rentrée prochaine, tandis que des enseignants russes dispenseront, à Brazzaville, un séminaire inaugural sur la réforme de la fonction publique numérique.
Le geste, certes académique, revêt une dimension éminemment politique : il confirme la place du savoir comme levier de souveraineté et d’influence. À l’heure où les équilibres internationaux se recomposent, ce pont jeté entre la rive droite de l’Oka et la Corniche du Congo pourrait bien façonner l’esprit des décideurs qui feront l’Afrique de demain.