La longue marche d’un festival devenu laboratoire interculturel
Lorsque quelques passionnés installèrent, en 2005, une modeste scène de fortune dans le parc municipal de Launac, nul n’imaginait que l’initiative donnerait naissance, deux décennies plus tard, à l’un des rendez-vous majeurs des cultures subsahariennes en Europe du Sud. Wassa’n Africa s’est imposé par la constance de son engagement : gratuité, accessibilité, programmation ouverte aux esthétiques émergentes aussi bien qu’aux maîtres consacrés. Vingt ans plus tard, sous les frondaisons de ce village proche de Toulouse, la manifestation réunit chaque été jusqu’à quinze mille visiteurs, tissant un réseau dense d’échanges entre scènes africaines et audiences européennes.
Une scène musicale qui reflète la pluralité africaine
Pour l’édition 2025, la direction artistique assume un parti pris d’éclectisme. Le folk sahélien du Sénégalais Bakh Yaye répondra aux incantations électro-maloya de SOFAZ, tandis que le Rabie Houti Band revisitera, avec fougue, le legs arabo-andalou. Les Nigériens Fiac Sy et Adama Dramé, virtuose burkinabè du djembé, rappelleront qu’en Afrique la pulsation est d’abord matière à récit. Au-delà du foisonnement sonore, le festival défend une cartographie subtile qui refuse les frontières étroites entre traditions et modernités : sur la même scène, un chœur gospel rencontre les polyrythmies mandingues, illustrant la porosité heureuse des esthétiques africaines contemporaines.
La diplomatie culturelle comme vecteur d’influence positive
Au-delà des performances artistiques, Wassa’n Africa s’inscrit dans la stratégie plus large de projection culturelle encouragée par plusieurs États africains, au premier rang desquels le Congo-Brazzaville. Depuis une dizaine d’années, l’ambassade congolaise à Paris et le consulat honoraire à Toulouse accompagnent l’événement par des prêts d’instruments patrimoniaux, des bourses de mobilité pour jeunes créateurs et une visibilité institutionnelle bienvenue. Un diplomate présent lors de l’édition précédente observait que « la culture demeure un langage dénué de rhétorique conflictuelle ; elle crée l’adhésion là où la politique suscite parfois la méfiance ». L’approche est en phase avec la doctrine de Brazzaville qui fait du rayonnement artistique un élément nodal de son soft power.
Un modèle de gouvernance partagée entre acteurs publics et société civile
Le succès logistique de Wassa’n Africa repose sur une gouvernance polycentrique. La commune de Launac apporte le cadre réglementaire et les infrastructures, la région Occitanie fournit un appui financier, tandis que les associations diasporiques – congolaises, maliennes, burkinabè – assurent la médiation culturelle et le relais auprès des communautés locales. Ce triangle institutionnel est complété par un tissu de bénévoles qui, chaque année, aménagent un camping écoresponsable, coordonnent le covoiturage et veillent au respect d’un règlement garantissant la sécurité de tous. En retour, le festival irrigue l’économie locale en générant un tourisme de séjour et en valorisant les artisans d’art, souvent porteurs d’un savoir-faire hérité de lignées familiales.
L’engagement écoresponsable, nouveau pilier d’attractivité
Désireux de conjuguer célébration artistique et conscience environnementale, les organisateurs ont contractualisé une charte verte. Les consommables plastiques à usage unique sont proscrits, la restauration privilégie les filières bio et les transports doux sont encouragés. L’empreinte carbone du festival est calculée en partenariat avec une start-up toulousaine spécialisée dans la data environnementale, démarche qui s’aligne sur les objectifs climatiques portés par l’Union africaine et soutenus, au niveau national, par le gouvernement congolais dans ses contributions déterminées au niveau international. Cet alignement stratégique confère au festival une lisibilité supplémentaire sur la scène diplomatique.
Vers un futur de co-création transcontinentale
À l’heure de souffler ses vingt bougies, Wassa’n Africa se projette déjà vers 2030. Les organisateurs envisagent une résidence d’artistes itinérante reliant Launac à Brazzaville, via Cotonou et Abidjan. L’idée est de transformer le festival en plateforme permanente où, tout au long de l’année, des créateurs des deux rives partagent ateliers numériques, captations live et publications universitaires. Ce projet, soutenu par l’Organisation internationale de la francophonie, illustre la maturité du partenariat tissé depuis deux décennies. Le maire de Launac résume l’esprit qui prévaut : « Ici, la musique précède le discours, et la main tendue devient institution ». Dans un contexte international souvent traversé de crispations, cette vision d’un espace commun, fondé sur la confiance et la réciprocité, apparaît comme une promesse lucide d’avenir.
Trois jours pour éprouver l’hospitalité comme horizon politique
Du 4 au 6 juillet 2025, Launac deviendra, l’espace d’un week-end, la capitale symbolique d’un monde sans murs. Par la grâce d’un tambour, d’un conte murmuré sous l’arbre à palabres ou d’un solo de kora suspendu, s’esquisse une diplomatie des émotions qui complète utilement les négociations formelles. En ce sens, Wassa’n Africa offre au Congo-Brazzaville une tribune chaleureuse, non pour défendre des positions, mais pour rappeler que la culture demeure, face à toute adversité, un facteur de paix robuste. À l’heure où les dialogues multilatéraux cherchent de nouveaux leviers, l’exemple launacais confirme que, parfois, la réponse se trouve dans la simplicité d’un concert partagé sous les étoiles.