Le souffle d’une diplomatie africaine renouvelée
À l’ombre des tours mudéjares de Séville, la quatrième Conférence internationale des Nations unies sur le financement du développement a offert un décor méditerranéen aux ambitions atlantiques de l’Afrique sahélienne. Dans les couloirs feutrés du palais des congrès, les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont, d’une même voix, loué la constance du souverain marocain dans la défense d’une coopération Sud-Sud à la fois pragmatique et solidaire. Le chef de la diplomatie nigérienne, Bakary Yaou Sangaré, l’a résumé d’une formule limpide : « Nous saluons le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dont la vision ouvre à nos pays un horizon maritime qui nous faisait défaut. »
En faisant résonner le concept d’« Alliance des États du Sahel » au diapason de cette promesse d’accès océanique, les trois responsables ont souligné la maturité d’une scène africaine désormais capable de forger ses propres agendas. La convergence de vues entre Rabat et les capitales sahéliennes s’inscrit ainsi dans une diplomatie continentale qui, sans rompre avec les partenaires traditionnels, revendique sa part d’initiative stratégique.
Une porte sur l’océan pour briser l’enclavement
Longtemps perçue comme un handicap structurel, l’absence de façade maritime des pays sahéliens a façonné des économies tributaires des corridors terrestres vers le Golfe de Guinée. L’initiative royale, rendue publique en décembre dernier, propose de renverser cette géographie subie et d’arrimer Bamako, Ouagadougou et Niamey aux ports atlantiques marocains via un réseau intégrant routes, chemin de fer et hubs logistiques. Karamoko Jean-Marie Traoré, ministre burkinabè, rappelle que « les premiers projets concrets de coopération Sud-Sud ont été financés par Rabat il y a déjà plusieurs décennies ; l’offre atlantique en est le prolongement naturel ».
Au-delà du symbole, l’enjeu est colossal. Selon les estimations du Conseil économique pour l’Afrique, un accès maritime stable pourrait réduire de 30 % les coûts logistiques totaux des entreprises sahéliennes, doper les exportations de bétail, de coton ou de manganèse, et favoriser la constitution d’écosystèmes industriels transfrontaliers. La perspective d’un terminal sahélien dédié dans le port de Dakhla, point de jonction projeté, catalyse déjà l’intérêt d’armateurs européens et asiatiques en quête de nouvelles routes moins saturées que celles du golfe de Guinée.
Sécurité et développement : les deux faces d’une même médaille
À Séville, Abdoulaye Diop a insisté sur le lien organique entre ouverture économique et stabilisation politique : « Il ne peut y avoir de développement sans sécurité, pas plus qu’il ne peut y avoir de sécurité durable sans perspectives économiques pour notre jeunesse ». Dans l’esprit des capitales sahéliennes, le corridor atlantique n’est donc pas seulement un ruban d’asphalte ; il constitue une ligne de vie susceptible de réduire la vulnérabilité des populations face aux groupes armés qui prospèrent sur la marginalisation.
Cette articulation est loin d’être théorique. Le Fonds monétaire africain note que chaque point de croissance supplémentaire généré par le commerce extérieur induit en moyenne une baisse de deux points des incidents sécuritaires dans les zones frontalières. L’approche marocaine, qui couple infrastructures physiques, programmes de formation et partage de renseignements, répond ainsi à une équation complexe que de nombreux partenaires extrarégionaux n’avaient pas su résoudre.
Le nerf de la guerre : financement et transfert de compétences
Sur le volet financier, Rabat s’apprête à mobiliser un bouquet d’instruments publics et privés. L’Agence marocaine de coopération internationale, épaulée par la Banque africaine pour le développement, cible un premier ticket de deux milliards de dollars, destiné à la modernisation des voies ferrées entre Fès et la frontière mauritanienne, puis vers le sud malien. Les investisseurs institutionnels du Royaume chérifien, rompus aux standards internationaux, rassurent des bailleurs encore frileux à l’idée de s’exposer dans le Sahel.
Le transfert de compétences constitue l’autre pilier : plus de huit mille étudiants sahéliens sont déjà inscrits chaque année dans les universités marocaines, dont une partie dans des filières logistiques, portuaires ou de cybersécurité. « C’est un capital humain qui rentre au pays avec la double culture du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne », note un diplomate européen présent à la conférence. Cette dynamique conforte la doctrine d’un développement endogène, capable de substituer au modèle extractiviste une montée en gamme industrielle et numérique.
Un échiquier régional en recomposition
L’initiative atlantique intervient dans un contexte de repositionnement stratégique des États sahéliens, désormais rassemblés au sein de l’Alliance des États du Sahel. Tout en marquant leur autonomie vis-à-vis des anciennes puissances tutélaires, Bamako, Ouagadougou et Niamey cherchent des partenaires apportant des solutions concrètes plutôt que des logiques d’assistance. En tendant la main, Rabat consolide sa stature de médiateur crédible, sans entrer en rivalité frontale avec les autres pôles d’influence présents dans la région.
Cette coopération purement africaine suscite néanmoins l’attention vigilante de l’Union européenne, des États-Unis et de la Chine, tous soucieux de sécuriser des couloirs commerciaux alternatifs aux voies maritimes saturées. Pour les chancelleries, la clé résidera dans la capacité des parties prenantes à garantir la soutenabilité financière et environnementale du projet, tout en préservant la souveraineté des États sahéliens. À Séville, le consensus s’est dégagé sur la nécessité d’une gouvernance partagée et transparente pour éviter la répétition d’initiatives aussi ambitieuses qu’avortées.
Vers un nouveau visage de la mondialisation africaine
En offrant au Sahel une fenêtre sur l’Atlantique, le Maroc esquisse une mondialisation à hauteur d’Africains, fondée sur des complémentarités régionales plutôt que sur des dépendances verticales. Les engagements financiers, académiques et sécuritaires annoncés à Séville confèrent une épaisseur institutionnelle à cette vision, sans pour autant effacer les défis logistiques, climatiques ou politiques qui jalonnent la bande sahélienne.
Reste que l’enthousiasme affiché par les ministres de l’Alliance des États du Sahel trahit une conviction partagée : la réponse aux vulnérabilités locales passera d’abord par un ancrage continental. Sous l’impulsion de Rabat, l’idée d’un corridor atlanto-sahélien matérialise la possibilité, pour les pays enclavés, de transformer une contrainte géographique en atout géo-économique. Dans une Afrique où la carte des influences s’épaissit de lignes nouvelles, la tentation atlantique pourrait bien préfigurer l’un des récits fondateurs de la prochaine décennie.