Un ajustement mesuré pour un cycle économique résilient
En abaissant son principal taux d’intervention de 25 points de base pour le porter à 5,75 %, la Banque de Tanzanie opte pour un assouplissement discret mais symbolique. Le gouverneur Emmanuel Tutuba a souligné que « les conditions internes de prix restent favorables et la trajectoire de l’inflation demeure inférieure au plafond cible de 5 % ». Dans un environnement mondial où nombre d’autorités monétaires hésitent encore à réduire le coût du crédit, Dar es Salaam affiche sa confiance, fruit d’une combinaison de discipline budgétaire et de soutien exogène, notamment le reflux des tensions logistiques sur la façade océanique.
L’arbitrage inflation-croissance sous l’effet des récoltes et du shilling
La saison agricole 2024–2025 débute sous de bons auspices, avec une pluviométrie jugée « structurellement suffisante » par le ministère de l’Agriculture. Or les denrées alimentaires représentent plus de 30 % du panier de l’indice des prix. Dès lors, une récolte abondante agit comme matelas anti-inflation. Dans le même temps, la relative stabilité du shilling tanzanien, permise par des réserves de change couvrant environ 4,5 mois d’importations, limite les pressions importées sur les produits énergétiques et pharmaceutiques.
Des risques extérieurs en accalmie mais toujours surveillés
Devant la presse, le Conseil de politique monétaire a jugé « modérée » la menace venue de l’international, notamment après la détente tarifaire constatée entre Washington et ses partenaires d’Asie orientale. L’apaisement des marchés de fret, conjugué à la baisse progressive du coût de l’engrais, contribue à réduire les frictions sur la balance des paiements. Toutefois, la Banque admet suivre attentivement l’évolution des taux de la Réserve fédérale américaine, facteur susceptible de ranimer le différentiel de rendements et d’attirer les capitaux hors d’Afrique orientale.
Hydroélectricité Julius Nyerere : catalyseur attendu de la croissance à 6 %
Le démarrage commercial des turbines du barrage Julius Nyerere, projet-phare de 2 115 MW sur le Rufiji, représente la colonne vertébrale de la trajectoire de croissance gouvernementale. En améliorant la sécurité énergétique et en abaissant le coût moyen du kilowattheure, l’ouvrage devrait alléger les charges des petites industries agro-alimentaires et textiles, tout en sécurisant la demande intérieure. Ce soutien à la chaîne de valeur manufacturière, couplé à l’extension du réseau ferroviaire à écartement standard vers la Zambie, conforte le scénario d’un PIB en hausse de 6 % en 2025.
La discipline budgétaire sous l’épreuve du calendrier électoral
À moins d’un semestre des élections générales, la présidente Samia Suluhu Hassan devra conjuguer ambitions sociales et prudence macroéconomique. Le cabinet a inscrit une progression des dépenses publiques de l’ordre de 9 %, principalement dirigée vers la santé et l’éducation. Le FMI, dans sa récente mission article IV, a salué la stabilité fiscale tout en rappelant la nécessité de contenir la masse salariale. Les observateurs n’excluent pas un léger gonflement du déficit courant sous l’effet de mesures de soutien ciblées, mais jugent le risque de dérapage « gérable » compte tenu de la base d’impôts indirects et des redevances minières.
Lecture régionale : effets d’entraînement et stabilité continentale
La détente monétaire tanzanienne intervient alors que plusieurs banques centrales d’Afrique centrale et australe maintiennent encore des taux élevés pour contrer la cherté de la vie. À Brazzaville, les autorités monétaires observent avec intérêt ce précédent oriental, y voyant la confirmation qu’un assouplissement gradué reste compatible avec la stabilité des prix lorsque la production agricole et énergétique en amont est consolidée. Dans l’hypothèse d’un reflux durable de l’inflation sur le continent, les économies riches en matières premières, à l’instar du Congo, pourraient bénéficier d’une fenêtre pour stimuler l’investissement privé sans heurter la confiance des bailleurs.
Perspectives régionales de moyen terme
À plus large horizon, la décision de Dar es Salaam pourrait alimenter une convergence des politiques monétaires au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est. Les discussions sur une éventuelle union monétaire, déjà repoussées à l’horizon 2031, requièrent la stabilisation préalable des indicateurs de prix. Le geste tanzanien offre un signal de sérénité, mais la consolidation fiscale demeurera le véritable juge de paix. Sous réserve d’un climat géopolitique apaisé, la sous-région pourrait voir les flux d’IDE progresser de 10 à 15 %, selon la Banque africaine de développement, offrant ainsi un amortisseur supplémentaire face aux chocs externes.