Une injection de liquidités stratégique pour Nouakchott
Annoncée depuis Abidjan à la fin du mois de juin, la facilité de 25,5 millions d’euros octroyée par la Banque africaine de développement (BAD) à la Générale de Banque de Mauritanie (GBM) revêt une portée qui dépasse la simple ligne de crédit. Dans un contexte où les marchés émergents subissent des pressions inflationnistes et où les chaînes d’approvisionnement restent fragiles, l’accès à des ressources en devises constitue, pour Nouakchott, un atout certain afin de sécuriser les importations vitales et de maintenir la compétitivité des exportateurs nationaux. Selon le communiqué officiel publié à l’issue de la réunion du Conseil d’administration de la BAD, le dispositif proposé combine un prêt à court terme et une garantie partielle destinée à couvrir les risques de non-paiement liés aux transactions commerciales. En d’autres termes, l’institution continentale mutualise son bilan pour offrir un parapluie financier au secteur privé mauritanien, encore très dépendant des intermédiaires internationaux lorsque les crédits documentaires se négocient.
La taille relativement modeste de l’économie mauritanienne, dont le PIB avoisine 10 milliards de dollars, fait de cette enveloppe un levier significatif. De l’avis d’un haut responsable du ministère de l’Économie mauritanien interrogé à Nouakchott, « chaque euro mobilisé auprès d’une banque multilatérale permet d’en drainer deux ou trois supplémentaires via les correspondants étrangers, tant la notoriété de la BAD rassure ». Les autorités espèrent ainsi réduire le coût de financement des opérations d’import-export, souvent grevé par des primes de risque élevées.
La BAD consolide son rôle de catalyseur régional
Cette facilité s’inscrit dans la stratégie décennale de la BAD, qui place la promotion du commerce intra-africain et la diversification économique au cœur de ses priorités. L’institution souligne, dans sa note d’évaluation, que la Mauritanie jouit d’un positionnement géographique singulier à la croisée des corridors maghrébin et ouest-africain, ce qui justifie une approche dite en étoile : renforcer une banque locale pour irriguer, par ricochet, les flux transfrontaliers vers le Mali, le Sénégal ou encore le Maroc.
En mobilisant son guichet du secteur privé, la BAD agit en complément des grands programmes d’investissements publics. Elle évite ainsi l’écueil d’une dépendance excessive aux bailleurs bilatéraux, tout en envoyant un signal positif aux agences de notation. D’après un analyste basé à Paris, « toute opération adossée à la garantie de la BAD améliore le scoring interne des banques commerciales européennes, ce qui fluidifie les confirmations de lettres de crédit ». Concrètement, la couverture mise en place pourrait porter le volume annuel de transactions de la GBM à plus de 120 millions d’euros, un quasi doublement comparé à l’exercice 2022.
Cap sur les PME et l’emploi national
La direction de la GBM assure que 40 % des ressources seront affectées aux petites et moyennes entreprises, souvent déconvenues par le manque de garanties ou de bilans audités. Le segment agro-alimentaire et les services logistiques figurent parmi les principaux bénéficiaires, deux secteurs identifiés comme créateurs d’emplois rapides et résilients. Le gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie observe que « l’effet d’entraînement sur l’emploi pourrait devenir tangible en moins de deux ans, à mesure que les PME sécuriseront leurs quotas de matières premières et accéderont à de nouveaux débouchés ». Dans un pays où le chômage des jeunes dépasse 30 %, le pari n’est pas anodin.
Des synergies attendues avec les corridors d’Afrique de l’Ouest
La dynamique enclenchée par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) rend ce financement d’autant plus opportun. Les autorités mauritaniennes misent sur la modernisation prochaine du port de Nouadhibou et l’extension de la route Nouakchott-Rosso pour amplifier les volumes de fret. La garantie accordée par la BAD réduira les délais de paiement entre exportateurs mauritaniens et partenaires sénégalais, ghanéens ou nigérians, région où se concentre la demande de produits halieutiques et miniers originaires de Mauritanie.
Un signal de confiance pour la place bancaire mauritanienne
La dernière fois qu’une banque commerciale mauritanienne avait obtenu un appui de cette envergure remonte à près d’une décennie. Entre-temps, la régulation prudentielle a été renforcée, et la GBM, filiale du conglomérat BSA, a amélioré ses ratios de solvabilité au-delà de 12 %. La BAD indique avoir procédé à un audit approfondi, notamment sur la gouvernance et la conformité aux normes internationales de lutte contre le blanchiment de capitaux. Les résultats, jugés satisfaisants, ont porté la décision finale. Pour de nombreux observateurs, cette approbation pourrait amorcer un cercle vertueux : l’arrivée d’investisseurs institutionnels sur le marché obligataire local et la diversification des instruments financiers accessibles aux exportateurs.
À l’heure où plusieurs économies du Sahel cherchent à restaurer la confiance des marchés, l’opération préserve la cohérence régionale souhaitée par les partenaires multilatéraux. Elle illustre la capacité de la Mauritanie à attirer des financements structurés sans remettre en cause le délicat équilibre budgétaire. Pour la BAD comme pour la GBM, l’enjeu est désormais de convertir cette manne en projets tangibles, afin que la promesse de croissance inclusive ne demeure pas qu’un slogan.