La fiscalité douanière, pivot financier dans un contexte de prix pétroliers atones
Dans un pays où la manne pétrolière a longtemps constitué le levier principal de l’action publique, la trajectoire baissière des cours internationaux a remis la fiscalité non pétrolière au premier plan. Les droits de douane prélevés à l’entrée du territoire représentent désormais une part substantielle de la trésorerie courante, particulièrement pour le budget de fonctionnement. Dans ce contexte, toute déperdition liée à des pratiques illicites fragilise les équilibres macroéconomiques, renchérit le coût de la dette et pèse sur les ambitions de diversification prônées par le gouvernement.
Christian Yoka, un ministre des Finances en tournée d’écoute et de fermeté
Arrivé au portefeuille des Finances il y a à peine six mois, Christian Yoka s’emploie à incarner une ligne volontariste. Lors de sa tournée de travail à Pointe-Noire, l’argentier congolais n’a pas mâché ses mots : il a dénoncé les « allusions récurrentes à des fraudes » dont il reçoit l’écho depuis la direction régionale du Kouilou. Devant des agents parfois médusés, il a rappelé que la tolérance zéro s’appliquerait, assortie de sanctions rapides « sans trembler », si les pratiques contraires à l’éthique persistaient.
Cette posture s’inscrit dans la continuité des orientations du chef de l’État, Denis Sassou N’Guesso, qui, dans son adresse sur l’état de la Nation de décembre 2018, affirmait qu’« il n’y aura ni menus fretins, ni gros poissons, tout passera dans la nasse de la justice ». En écho, M. Yoka précise désormais aux cadres douaniers que l’exemple doit venir d’en haut : à ses yeux, une légère amélioration des comportements pourrait d’ores et déjà majorer de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA les recettes attendues.
Les ressorts historiques d’une administration douanière sous pression
Port maritime stratégique, Pointe-Noire concentre à elle seule plus de 70 % des échanges extérieurs du Congo-Brazzaville. Cette centralité logistique a, depuis les années 1990, exposé la douane locale à des flux financiers considérables. Des observations de terrain montrent qu’un nombre restreint d’intermédiaires privés cherche parfois à contourner les règles tarifaires, profitant de failles de contrôle. D’où une tentation accrue pour certains agents, dont les conditions de rémunération demeurent modestes, de céder aux facilités illicites.
Le ministre rappelle cependant qu’aucune logique comparable ne saurait justifier des enrichissements disproportionnés. Les enquêtes internes ont mis au jour la possession, par des fonctionnaires de catégorie moyenne, de villas cossues, de parcs automobiles luxueux ou de comptes courants anormalement approvisionnés. L’éviction administrative de six cadres, en octobre 2024, a illustré la détermination de la hiérarchie à rompre avec cette spirale.
Le cadre juridique national monte en puissance contre les actes déviants
La récente opération de moralisation s’appuie sur un arsenal normatif en cours de renforcement. La Haute Cour de Justice, institution compétente pour traiter les dossiers impliquant des hauts fonctionnaires, dispose désormais de textes de fonctionnement consolidés. Dans le même temps, l’Inspection générale des finances accentue ses audits inopinés sur les postes frontaliers. En cas d’indice sérieux, le parquet financier peut se saisir et engager des poursuites, conformément au principe de la séparation des pouvoirs.
Selon un magistrat de Brazzaville, « la répression n’a de sens que si elle s’accompagne d’une transparence accrue ». C’est pourquoi la direction générale des douanes élabore un dispositif de déclaration de patrimoine obligatoire, couplé à une plateforme de signalement des incidents. L’objectif est double : restaurer la confiance des opérateurs commerciaux et rassurer les partenaires techniques, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, sur la bonne gouvernance des flux douaniers.
Partenariats internationaux et digitalisation, leviers d’une réforme durable
Au-delà des discours, la durabilité de la réforme repose sur des outils concrets. Le Congo-Brazzaville négocie avec l’Organisation mondiale des douanes l’extension du Système douanier automatisé, réputé réduire la manipulation humaine des données. Une assistance technique française, financée par Expertise France, est également prévue pour moderniser les scanners à conteneurs du port autonome.
Christian Yoka souligne qu’une administration douanière performante constitue un signal positif pour les investisseurs étrangers en quête de prévisibilité. La dématérialisation des procédures, conjuguée à l’interfaçage des bases de données fiscales et portuaires, devrait raccourcir les délais de dédouanement et, in fine, améliorer le classement du pays dans l’indice Doing Business.
Perspectives budgétaires et diplomatie économique du Congo-Brazzaville
À court terme, le gouvernement table sur une progression de 15 % des recettes douanières en 2025. Ce rebond financerait simultanément les politiques sociales prioritaires et la diplomatie économique, pilier de la vision présidentielle pour un Congo plus attractif. Selon un économiste de la Commission économique pour l’Afrique, « chaque franc CFA récupéré à la douane génère un multiplicateur élevé sur le reste de l’économie ».
En dernière analyse, l’offensive de Christian Yoka au Kouilou illustre la volonté de l’exécutif de forger une administration exemplaire, capable d’anticiper les cycles des matières premières et de consolider la souveraineté budgétaire. Si la lutte contre les dérives appelait naguère des slogans, elle se mesure désormais à l’aune de résultats tangibles. Aux yeux des partenaires diplomatiques, le Congo-Brazzaville entend ainsi démontrer que sa résilience économique passe aussi par une gouvernance irréprochable de ses frontières.